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monarchies. Est-ce à l’indignation publique, soulevée par des usurpations dans lesquelles la fraude se combinait parfois avec la violence comme pour la rendre plus odieuse, plus insupportable encore ? Quelque jugement qu’on puisse porter, à une époque de paix et de régularité au moins relatives, sur les excès de l’ambition napoléonienne, ces excès n’avaient peut-être en eux-mêmes rien de plus révoltant que tant d’autres attentats analogues des gouvernemens qui les lui firent si chèrement expier. Les partages de la Pologne ; Venise acceptée par l’Autriche à titre d’indemnité des mains de la France, qui punissait ainsi cette république d’avoir fait cause commune avec le cabinet de Vienne ; la Finlande enlevée par la Russie à la Suède, dont le seul tort était d’avoir persévéré plus long-temps que l’empereur Alexandre dans leur lutte commune contre la France ; les petits princes allemands, que l’Autriche et la Prusse avaient entraînés malgré eux dans leur croisade contre la révolution française, dépouillés de leurs états pour dédommager leurs grands alliés des sacrifices que leur coûtait cette guerre malheureuse ; Copenhague bombardé en pleine paix, sans aucun grief, en vue d’une pure éventualité, par les forces anglaises : c’étaient là, certes, des actes aussi détestables qu’aucun de ceux qu’on a pu reprocher à Napoléon. Le crime qui l’a perdu, en soulevant contre lui d’implacables ressentimens, était d’une nature plus générale : il était trop puissant, et l’excès de sa puissance détruisait jusqu’à l’ombre même de l’ancien équilibre européen.

Le système d’équilibre, que quelques beaux esprits qui ne le comprenaient pas ont voulu tourner en ridicule, n’est pas, comme ils l’ont cru, une vaine parole. C’est le résultat naturel de l’association formée entre les peuples de l’Europe moderne par la communauté de religion, de civilisation, et par les communications faciles qui, faisant profiter plus ou moins chacun d’entre eux des progrès effectués, des ressources créées par tous les autres, les maintiennent respectivement à un certain niveau de forces dont l’histoire des nations de l’antiquité ne nous offre aucun exemple. C’est encore l’heureuse conséquence de ce sentiment de dignité, de susceptibilité même, qui rend insupportable aux gouvernemens comme aux nations l’assujettissement à une domination étrangère, sentiment qui n’était certes pas inconnu des anciens, mais qui, chez les modernes, est devenu plus général, plus irritable, plus difficile à étouffer, parce qu’il se lie à ces idées d’honneur que nous ont léguées les temps de la chevalerie, et que les mœurs nouvelles ont modifiées dans la forme plutôt qu’essentiellement altérées. Ces élémens puissans, mis en œuvre par l’action savante et continue de la diplomatie, ont formé depuis trois siècles une barrière contre laquelle sont venus successivement se briser tous les efforts des gouvernemens qui ont essayé de ressaisir le sceptre de la monarchie universelle, possédé jadis