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nouvelle maîtresse du roi Louis ; ils n’ont pas toujours été si rigoristes. Le parti ultramontain a été pris au dépourvu ; il s’est trouvé sans force contre la pétulante favorite, qui, certaine de son empire sur le monarque, a accepté avec audace une lutte ouverte contre les influences réputées jusqu’alors les plus redoutables. La témérité de la favorite a gagné ses adversaires, qui n’ont pas voulu laisser à Mlle  Lolla Montès le monopole du scandale. Un beau matin, l’Europe a pu lire dans ses journaux la dénonciation en règle d’un roi rédigée par quatre de ses ministres. La pièce en elle-même était déjà un fait énorme ; la publicité qu’elle a reçue est quelque chose de monstrueux. On assure que le roi Louis, après avoir pris communication de la lettre qu’avaient signée ses ministres, la mit sous clé, sans la montrer à personne ; il voulait voir si les signataires oseraient la publier. Quelques jours après, des copies en circulaient à Munich. On expliquait ce nouveau scandale : on disait que, la signera Lolla Montès ne sachant pas l’allemand, il avait bien fallu confier la lettre à un traducteur, qui seul était coupable de cette indiscrétion. Cette publicité a mis le comble à l’exaspération du roi, qui a dit hautement qu’il reconnaissait là un complot des prêtres dirigé contre lui, et qu’il était décidé à rompre avec le parti ultramontain. D’ailleurs, depuis assez long-temps, ce joug pesait au roi, qui se serait écrié aussi, au sujet de son ancien ministre de l’intérieur, M. d’Abel, que c’était un ingrat, un jésuite, et qu’il était fort aise d’être débarrassé de lui. Toutefois, par un reste de bonté, le roi n’a pas voulu laisser sans position aucune M. d’Abel, qui n’a pas de fortune, et il l’a nommé ministre plénipotentiaire à la cour de La Haye. Les trois collègues de M. d’Abel ont échangé contre leurs portefeuilles de hautes fonctions dans l’ordre administratif. Si le roi ne se montre pas vindicatif, il s’entête dans ce qu’il a voulu faire. Le crédit de la favorite augmente tous les jours, et personne n’ignore à Munich quelle est son imperturbable confiance dans la séduction qu’elle exerce sur le roi. Mlle  Lolla Montès dit tout haut qu’elle est sûre de son fait, qu’elle aura l’indigénat et le titre de comtesse de Sternfeld, nom d’une terre qui vient d’être achetée pour elle. Elle a reçu 40 mille florins pour la consoler du retard occasionné par le refus des ministres récalcitrans. Aussi son outrecuidance croît encore avec sa faveur, et elle aurait fait dire à deux dames de la cour, qui l’avaient regardée avec dédain, qu’elle les soufflèterait à la première occasion. Tout cela parait fou ; tout cela, néanmoins, a un côté sérieux. Le roi de Bavière semble métamorphosé ; il déclare qu’il change de système ; il se montre ouvertement favorable à la liberté de la presse et à l’extension des institutions libérales ; il applaudit à ce qui se passe au sein de la monarchie prussienne. Maintenant ces dispositions dureront-elles ? Quel est l’avenir de cette réaction libérale si singulièrement associée aux galanteries d’un roi de soixante ans ? Ne damnons pas le roi Louis, comme font les jésuites ; mais attendons-le à l’œuvre.

À Berlin, la physionomie de la scène politique est plus grave. Pour la première fois, la royauté et la nation vont se trouver officiellement en présence l’une de l’autre. Dans ces derniers jours, on avait cru un instant que l’ouverture des états-généraux, qui avait été fixée au 11 avril, serait ajournée. Le cabinet prussien compte peu d’orateurs : il n’y a guère qu’un de ses membres, le ministre de l’intérieur, M. de Bodelschwingh, auquel on reconnaisse quelque talent pour la parole. Or en ce moment la santé de M. de Bodelschwingh est assez gravement altérée, et l’on avait d’abord songé à reculer l’ouverture de la diète