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soleil, que le panorama de Shouster est surtout curieux à contempler. Les habitans ont pour coutume de souper tous à la même heure sur les toits plats de leurs maisons. Il se fait donc à ce moment une illumination générale. Chaque table est éclairée de grands candélabres contenant des bougies défendues contre le vent et les insectes par des cloches de verre, ou par des cadres de bois doré tendus de fine mousseline. Les domestiques, toujours nombreux, vont et viennent avec d’immenses lanternes de toile ou de papier huilé qui ont jusqu’à trois pieds de diamètre, et leurs silhouettes noires se dessinent sur ces globes lumineux comme des figures de lanterne magique.

Shouster était jusqu’à ces derniers temps une ville très populeuse, mais la peste et le choléra, qui s’y sont succédé pendant les années 1831 et 1832, ont enlevé les trois quarts des habitans. Leur nombre ne dépasse pas actuellement quatre ou cinq mille ames. Beaucoup de familles ont d’ailleurs émigré pour transporter leur résidence à Dizfoul, depuis que cette dernière ville est devenue le chef-lieu de la province et le centre de l’administration, au grand détriment de Shouster, qui avait été jusqu’alors la capitale de tout le Khouzistan. Aussi de très belles maisons, encore en fort bon état, se trouvent-elles abandonnées. — Les Persans de Shouster ont la réputation d’avoir plus d’esprit et en même temps d’être plus corrompus que tous leurs compatriotes. La ville fourmille de bouffons, de danseurs, de musiciens et de saltimbanques de toute espèce. On y fait une chère exquise et on y trouve, en fait de luxe, de plaisirs et de gastronomie, toutes les ressources d’Ispahan.

La ville et sa banlieue paient au gouvernement un revenu annuel de 20,000 tomans ou 10,000 livres sterling. L’octroi en prélève à peu près autant au profit de la ville sur les diverses consommations, et enfin la douane produit encore à l’état à peu près la même somme. Ce sont surtout les produits de l’Inde anglaise qui trouvent à Shouster un débouché considérable, savoir le sucre, les épices, l’opium et le coton expédiés de Bombay. Ces marchandises sont d’abord transportées par mer jusqu’à Mohammerah, port franc situé sur le Kouran, non loin de son confluent avec le Shat-el-Arab et la rivière de Kourdistan. De Mohammerah, elles remontent le Kouran sur de petits bâtimens arabes, jusqu’à environ deux lieues au-dessous de la ville d’Ahvaz. Là, il est nécessaire de les débarquer et de les transporter par terre jusqu’à cette ville, à cause de quelques bancs de rochers qui interceptent le lit de la rivière. Un peu au-dessus d’Ahvaz, on recharge encore une fois les marchandises sur des bateaux qui les remontent jusqu’à trois lieues de Shouster, où elles arrivent enfin à dos de mulet.

Shouster possédait autrefois des plantations considérables de coton et fournissait elle-même la matière première à ses manufactures ; mais, depuis l’introduction des cotonnades anglaises par la voie de Bombay et de Mohammerah, l’industrie agricole et l’industrie manufacturière ont eu le même sort ; elles sont tombées, probablement pour ne plus se relever. On ne cultive plus le coton, et les tisserands ont abandonné leurs métiers. Il en est de même pour la canne à sucre ; elle florissait autrefois dans ces contrées, surtout dans les environs d’Ahvaz : aujourd’hui la culture en est tout-à-fait négligée. Quand M. de Bode voulut connaître la cause de ce dépérissement, on lui dit que beaucoup d’années auparavant un Anglais était venu s’établir à Ahvaz, et qu’il avait acheté fort cher