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De tels ouvrages ont des titres particuliers à l’intérèt de la critique. C’est un devoir pour elle, non-seulement de les apprécier, mais d’en exposer, d’en vulgariser, par une fidèle analyse, les principaux résultats. M. de Bode, d’ailleurs, tout en étudiant les monumens du passé, a su porter un coup d’œil attentif sur les populations au milieu desquelles il a vécu. Il y a donc un double intérêt dans son livre, l’intérêt qui s’attache aux recherches archéologiques, et celui non moins vif qu’excitent les mœurs d’une société presque ignorée. La description et la narration forment ainsi, dans ce curieux ouvrage, deux élémens distincts, quoique inséparables, et que nous chercherons de même à unir sans les confondre.

Le voyageur dont nous allons suivre les traces, il est bon de le remarquer avant tout, appartient à la diplomatie russe. Son père, né d’une mère anglaise, était Français par sa famille paternelle, originaire d’Alsace : les hasards de l’émigration le conduisirent en Russie, où il leva un régiment de cavalerie à ses frais, et lorsqu’en 1812 les Français parurent devant Moscou, il mérita par ses services militaires la faveur de l’empereur Alexandre. C’est au fils aîné de l’aventureux officier que nous devons le Voyage dans le Louristan et l’Arabistan. La vie agitée de son père s’acheva en Angleterre, et M. de Bode, élevé successivement aux universités de Londres et de Saint-Pétersbourg, fut de bonne heure reçu dans les meilleures sociétés des deux capitales. Il se trouva bientôt en contact habituel, par la spécialité de ses études, avec les savans les plus distingués de l’Angleterre et de la Russie. Les services de son père le recommandaient à la bienveillance de l’empereur Nicolas. Aussi ne tarda-t-il pas à entrer dans la diplomatie russe. Cette double éducation des affaires et de la science était une excellente préparation aux recherches qui devaient amener plus tard M. de Bode dans la Perse occidentale. Par la position du voyageur, on doit comprendre maintenant le caractère particulier de ses travaux ; on ne s’étonnera pas si M. de Bode s’offre à nous tour à tour comme un archéologue passionné et comme un observateur pénétrant des mœurs actuelles de la Perse.

En 1836, nommé secrétaire de la légation russe à Téhéran, M. de Bode débuta dans l’exercice de sa mission en assistant à la cérémonie funèbre célébrée pour la translation des restes de M. de Griboedoff et des membres de son ambassade, massacrés dans cette même ville sept ans auparavant, en 1829. On sait que M. de Griboedoff, sa suite et ses domestiques périrent dans une émeute populaire, victimes du fanatisme musulman, pour avoir voulu faire respecter le droit d’asile et l’inviolabilité du pavillon en faveur de quelques augets moscovites réfugiés à l’hôtel du consulat. Le tableau de cette cérémonie précède le récit du voyage entrepris par M. de Bode quatre années plus tard. C’est un prologue assez pittoresque à cette excursion commencée d’abord dans l’unique intention de visiter Persépolis et prolongée dans une autre direction par des circonstances tout-à-fait imprévues.

Le 23 décembre 1840, M. de Bode partait de Téhéran pour Ispahan et Schiraz. La première singularité qu’offre un voyage en Perse, c’est la manière même de voyager. Un Européen qui veut parcourir ce pays n’a pas le choix des modes de transport ; il faut qu’il voyage en cavalier, monté soit sur ses propres chevaux, ce qui est fort long, soit sur ceux de la poste, ce qui est extrêmement fatigant. Comme dans tous les états de l’Asie, vous ne trouvez sur la route, même dans