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auprès d’un enfant sans intelligence, n’avait pas encore un de ces désespoirs sans issue qui font qu’on meurt en blasphémant. Un ami invisible était près d’elle : elle semblait appuyer sur lui, et parfois prêter l’oreille à de saintes paroles qu’elle seule entendait.

Un matin, elle m’envoya chercher de bonne heure ; elle n’avait pu quitter son lit, et, de sa main amaigrie, elle me montra une feuille de papier sur laquelle quelques lignes étaient tracées.

— Ami docteur, me dit-elle de sa voix la plus douce, je n’ai pas la force de continuer, achevez cette lettre.

Je lus ce qui suit :

« Milord, c’est la dernière fois que je vous écris. Tandis que la santé est rendue à votre vieillesse, moi je souffre et je suis prête à mourir. Je laisse sans protecteur votre petit-fils William Kysington. Milord, cette dernière lettre est pour le rappeler à votre souvenir ; je demande moins pour lui votre fortune qu’une place dans votre cœur. De toutes les choses de la vie, il n’a compris qu’une seule chose, l’amour de sa mère. Voilà qu’il me faut le quitter pour toujours ! Aimez-le, milord : il ne comprend que l’affection ! »

Elle n’avait pu achever ; j’ajoutai :

« Lady William Kysington a peu de jours à vivre ; quels sont les ordres de lord James Kysington à l’égard de l’enfant qui porte son nom ?

« Le docteur BARNABE. »

Cette lettre fut envoyée à Londres, et nous attendîmes. Eva ne quitta plus son lit ; William, assis près d’elle, tenait, tout le long du jour, sa main dans les siennes ; sa mère essayait tristement de lui sourire ; moi, de l’autre côté du lit, je préparais les potions qui pouvaient adoucir le mal.

Elle recommençait à parler à son fils, comme ne désespérant plus qu’après sa mort quelques mots dits par elle ne revinssent à sa mémoire ; elle donna à cet enfant tous les conseils, toutes les instructions qu’elle eût donnés à un être éclairé ; puis elle se retournait vers moi : — Qui sait, docteur ? disait-elle, peut-être qu’un jour il retrouvera mes paroles au fond de son cœur !

Quelques semaines s’écoulèrent encore. La mort approchait, et, quelque soumise que fût l’ame chrétienne d’Eva, ce moment ramenait l’angoisse de la séparation et la terreur solennelle de l’avenir. Le curé du village vint la voir, et, quand il la quitta, je m’approchai de lui, je pris sa main : — Vous prierez pour elle, lui dis-je. — Je lui ai demandé de prier pour moi, répondit-il.

C’était le dernier jour d’Eva Meredith. Le soleil était couché ; la fenêtre près de laquelle elle s’était si long-temps assise était ouverte ; elle