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mit en route pour Londres. Me trouvant libre, je renonçai à tout nouveau désir de m’instruire : j’avais assez de science pour mon village, j’y revins en toute hâte.

Nous voilà donc encore dans cette petite maison blanche, réunis comme avant cette absence de deux années ; mais que le temps qui venait de s’écouler avait augmenté la grandeur du malheur ! Nul n’osait parler de l’avenir, ce moment inconnu dont nous avons tous tant besoin, et sans lequel le jour présent passe, s’il est heureux, en ne donnant qu’un bonheur trop faible, s’il est triste, en laissant le malheur trop grand.

Jamais je ne vis une douleur plus noble dans sa simplicité, plus calme dans sa force que celle d’Eva Meredith. Elle priait encore le Dieu qui la frappait. Dieu pour elle, c’était celui qui peut l’impossible, celui près duquel on recommence l’espérance, quand les espérances de la terre sont éteintes. Son regard, ce regard plein de foi, qui m’avait déjà si vivement frappé, s’arrêtait sur le front de son enfant comme pour y attendre la venue de l’ame qu’elle appelait par ses prières. Je ne saurais vous peindre la courageuse patience de cette mère parlant à son fils, qui écoutait sans comprendre. Je ne saurais vous dire tous les trésors d’amour, de pensées, de récits ingénieux qu’elle jeta à cette intelligence fermée, qui répétait, comme un écho, les derniers mots du doux langage qu’on lui parlait ; elle lui expliquait le ciel, Dieu, les anges ; cherchant à le faire prier, elle joignait ses mains, mais elle ne pouvait lui faire lever les yeux vers le ciel.

Elle essaya, sous toutes les formes possibles, les premières leçons de l’enfance ; elle lisait à son fils, lui parlait, occupait ses yeux par des images ; elle demandait à la musique d’autres sons que les paroles.

Un jour même, se faisant un horrible effort, elle raconta à William la mort de son père ; elle espérait, attendait une larme. Ce matin-là, son enfant s’endormit pendant qu’elle lui parlait encore ; des larmes furent versées, mais ce fut des yeux d’Eva Meredith qu’elles tombèrent.

Elle s’épuisa ainsi en vains efforts, en lutte persévérante ; elle travaillait pour pouvoir continuer à espérer ; mais aux yeux de William les images n’étaient que des couleurs ; à ses oreilles, les paroles n’étaient que du bruit. Cet enfant cependant grandissait et devenait d’une beauté merveilleuse. Si on ne l’eût vu qu’un instant, on aurait appelé du calme l’immobilité de sa physionomie ; mais ce calme prolongé, continu, cette absence de tout chagrin, de toutes larmes, avait sur nous un étrange et triste effet. Ah ! il faut que souffrir soit bien inhérent à notre nature, puisque l’éternel sourire de William faisait dire à tout le monde : « Le pauvre idiot ! » Les mères ne savent pas le bonheur qui se cache dans les pleurs de leur enfant. Une larme, c’est un regret, un désir, une crainte ; c’est l’existence enfin qui commence à être comprise ! Hélas !