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sa main tremblante chercha ma main, la serra, puis ses doigts s’entr’ouvrirent, et il retomba sur ses oreillers.

— Assez, assez, monsieur ! je souffre, j’ai besoin de repos. Laissez-moi seul.

Je m’inclinai et m’éloignai.

Avant que j’eusse quitté la chambre, lord J. Kysington avait repris sa position habituelle, son silence et son immobilité.

Je ne vous dirai pas, mesdames, mes nombreuses et respectueuses tentatives auprès de lord J. Kysington, les indécisions, les anxiétés cachées de celui-ci, et comment enfin son amour paternel, réveillé par les détails de l’horrible catastrophe, comment l’orgueil de sa race, ranimé par l’espoir de laisser un héritier de son nom, finirent par triompher d’un amer ressentiment. Trois mois après la scène que je viens de raconter, j’étais sur le seuil de la maison de Montpellier à attendre Eva Meredith et son fils, rappelés dans leur famille pour y reprendre tous leurs droits. Ce fut un beau jour pour moi.

Lady Mary, qui, en femme maîtresse d’elle-même, avait dissimulé sa joie lorsque des dissensions de famille avaient fait de son fils le futur héritier de son frère, dissimula mieux encore ses regrets et sa colère quand Eva Meredith, ou plutôt Eva Kysington, se réconcilia avec son beau-père. Le front de marbre de lady Mary resta impassible ; mais que de mauvaises passions devaient gonfler son cœur sous ce calme apparent !

J’étais donc sur le seuil de la porte quand la voiture d’Eva Meredith (je continuerai à lui donner ce nom) entra dans la cour de l’hôtel. Eva me tendit vivement la main. « Merci, merci, mon ami ! » murmura-t-elle. Elle essuya les larmes qui tremblaient dans ses yeux, et, prenant par la main son enfant, un enfant de trois ans, beau comme un ange, elle entra dans sa nouvelle demeure. « J’ai peur, » me dit-elle. C’était toujours cette faible femme, brisée par le malheur, pâle, triste et belle, qui ne croyait guère aux espérances de la terre, et qui n’avait de certitude que pour les choses du ciel. Je marchais à côté d’elle, et tandis que, toujours en deuil, elle montait les premières marches de l’escalier, sa douce figure mouillée de larmes, sa taille mince et faible penchée vers la rampe, son bras tendu attirant à elle l’enfant qui marchait plus lentement qu’elle encore, lady Mary et son fils partirent sur le haut de l’escalier. Lady Mary portait une robe de velours brun, de beaux bracelets entouraient ses bras ; une légère chaîne d’or ceignait son front, digne en effet d’un diadème. Elle marchait d’un pas assuré, la tête haute, le regard plein de fierté. Ce fut ainsi que ces deux mères se virent pour la première fois.

— Soyez la bienvenue, madame, dit lady Mary en saluant Eva Meredith.

Eva essaya de sourire et répondit quelques paroles affectueuses.