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me tâtez pas le pouls, c’est mon cœur qui bat trop fort. Dites, si vous voulez, que je suis enfant, docteur, mais j’ai un peu de chagrin ce matin. William va me quitter ; oui, il va de l’autre côté de la montagne, à la ville voisine, chercher de l’argent qu’on nous envoie.

— Et quand reviendra-t-il ? lui demandai-je doucement.

Elle sourit, rougit presque, et puis, avec un regard qui semblait dire : Ne riez pas de moi, elle répondit : Ce soir !

Je ne pus m’empêcher de sourire malgré le regard qui m’implorait.

En ce moment, un domestique amena devant le perron le cheval qu’allait monter M. Meredith. Eva se leva, descendit dans le jardin, s’approcha du cheval, et, caressant sa crinière, inclina sa tête sur le cou de l’animal, peut-être pour cacher que quelques larmes s’échappaient de ses yeux. William vint, et, s’étant élancé sur son cheval, il releva doucement la tête de sa femme.

— Enfant ! lui dit-il en la regardant avec amour et en la baisant au front.

— William ! c’est que nous ne nous sommes pas encore quittés pour tant d’heures à la fois.

M. Meredith pencha sa tête vers celle d’Eva, et baisa de nouveau ses beaux cheveux blonds ; puis il enfonça l’éperon dans le flanc du cheval et partit au galop. Je suis convaincu qu’il était aussi un peu ému. Rien n’est contagieux comme la faiblesse des gens que l’on aime : les larmes appellent les larmes, et ce n’est pas un beau courage que celui qui fait rester les yeux secs auprès d’un ami qui pleure.

Je m’éloignai, et, rentré dans la chambre de ma maisonnette, je me mis à songer au grand bonheur d’aimer. Je me demandai si jamais une Eva viendrait partager ma pauvre demeure ; je ne songeais pas à examiner si j’étais digne d’être aimé. Mon Dieu ! lorsqu’on regarde les êtres qui se dévouent, on voit bien facilement que ce n’est pas à cause de mille choses et pour de bonnes raisons qu’ils aiment si bien ; ils aiment parce que cela leur est nécessaire, inévitable ; ils aiment à cause de leur cœur, non pas à cause de celui des autres. Eh bien ! cette bonne chance qui fait rencontrer une ame qui a besoin d’aimer, je songeais à la chercher, à la trouver, absolument comme dans mes promenades du matin je pouvais rencontrer sur mon chemin une fleur parfumée.

Je rêvais ainsi, quoique ce soit un assez blâmable sentiment que celui qui, à la vue du bonheur des autres, nous fait regretter ce qui nous manque. N’y a-t-il pas là un peu d’envie ? et si la joie se volait comme on vole de l’or, ne songerions-nous pas à en faire le larcin ?

La journée se passa, et je venais de terminer mon frugal souper quand on vint me prier, de la part de Mme Meredith, de me rendre chez elle. En cinq minutes, j’arrivai à la porte de la maison blanche. Je trouvai Eva, seule encore, assise sur un sofa, sans ouvrage, sans livre,