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le plaisir de se faire jolie, aimant l’amour qu’elle inspirait pour voir ramasser la fleur qui s’échappait de son bouquet ; et lorsque quelques grands parens lui faisaient une docte remontrance : — Mon Dieu, disait-elle, laissez-moi rire et prendre gaiement la vie ! cela est moins dangereux que de rester dans la solitude, à écouter les battemens de son cœur ! Moi, je ne sais seulement pas si j’ai un cœur. — Le fait est que la comtesse de Moncar ne savait à quoi s’en tenir à cet égard. L’important pour elle était que ce point restât douteux toute sa vie, et elle trouvait prudent de ne pas se laisser le temps de réfléchir.

Un matin donc, elle et ses hôtes, par une belle matinée de septembre, se mirent en route pour le château inconnu avec l’intention d’y passer une journée. Un chemin de traverse, que l’on disait praticable, devait réduire à douze lieues le voyage que l’on entreprenait. Le chemin de traverse fut affreux : on s’égara dans les bois ; une voiture se cassa ; enfin ce ne fut que vers le milieu du jour que les voyageurs, fatigués et peu émerveillés des beautés pittoresques de la route, arrivèrent au château de Burcy, dont l’aspect ne devait guère consoler des ennuis du voyage.

C’était un grand bâtiment aux murs noircis. Devant le perron, un jardin potager, en ce moment sans culture, descendait de terrasse en terrasse, car le château, adossé aux flancs d’une colline boisée, n’avait aucun terrain plat autour de lui ; des montagnes l’écrasaient de tous côtés ; elles étaient rocailleuses, et les arbres, poussant au milieu des rochers, avaient une verdure sombre qui attristait les regards. L’abandon ajoutait au désordre de cette nature sauvage. Mme de Moncar resta interdite sur le seuil de son vieux château.

— Voilà qui ne ressemble guère à une partie de plaisir, dit-elle, et il me prend envie de pleurer à l’aspect de ce lugubre lieu. Cependant voici de beaux arbres, de grands rochers, un torrent qui gronde : il y a peut-être là une certaine beauté ; mais tout cela est plus sérieux que moi, dit-elle en souriant. Entrons et voyons l’intérieur.

— Oui, voyons si le cuisinier, parti hier en avant-garde, est arrivé plus heureusement que nous, répondirent les convives affamés.

Bientôt on acquit l’heureuse certitude qu’un abondant déjeuner serait rapidement servi, et l’on se mit, en attendant, à parcourir le château. Les vieux meubles couverts de toiles usées, les fauteuils qui n’avaient plus que trois pieds, les tables qui branlaient, les sons distords d’un piano oublié là depuis vingt ans, fournirent mille sujets de plaisanteries. La gaieté reparut. Au lieu de souffrir des inconvéniens de cet incomfortable séjour, il fut décidé que l’on rirait de tout. D’ailleurs, pour ce monde jeune et oisif, cette journée était un événement, une campagne presque périlleuse, dont l’originalité commençait à parler à l’imagination. On avait brûlé un fagot dans la grande cheminée du salon ; mais,