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rester séparé de quelques conditions de cens, et surtout d’instruction élémentaire. Le principe de la représentation doit évidemment prévaloir, dans tous les territoires de quelque étendue et même dans les centres considérables de population, sur celui des assemblées générales[1], où règnent presque toujours le tumulte et la confusion.

On ne peut méconnaître dans l’esprit suisse une aptitude réelle à comprendre les questions qui se rattachent à la législation et au gouvernement. L’intervention du peuple helvétique dans ses propres affaires est donc pleinement justifiée, sauf quelques exceptions que le rétablissement de l’ordre moral et religieux dans les pays où il a reçu les plus graves atteintes supprimerait ou du moins atténuerait considérablement. Ce qui cause, en Suisse, un préjudice extrême à l’intérêt public, ce ne sont pas les admissions, mais bien les exclusions. En abandonnant pour toujours les vieux privilèges de naissance, il est essentiel à la prospérité de chaque république que la possession de la richesse et du savoir soit partout comptée pour sa juste part dans l’exercice des droits communs, dans la composition des corps de magistrature, dans la formation des assemblées délibérantes qui représentent le souverain.

Ces transactions équitables, c’est du bon sens réfléchi, de la modération naturelle du peuple suisse que nous les attendons. Il serait ridicule d’en inscrire les principes dans les lois constitutionnelles ; il faut que l’expérience acquise et la conscience éclairée les fassent rentrer dans les mœurs publiques. Il est surtout essentiel que les gouvernemens étrangers n’interviennent en cette matière que par des conseils non-seulement loyaux, mais discrets. La Suisse ne renferme aucun parti honorable, ou même sérieux, qui ne soit disposé à regarder l’occupation du sol helvétique par des forces étrangères comme une humiliation et comme une calamité ; les intérêts qu’on voudrait secourir par de tels moyens seraient perdus sans retour dans l’opinion nationale. Le devoir des puissances européennes envers la république helvétique est donc de ne laisser aux factions qui égarent ou oppriment quelques portions de la Suisse aucune illusion sur leur impuissance au dehors ; ce devoir leur prescrit en même temps de ne causer aux bons citoyens, qui forment là, comme partout, la majorité de la nation, aucune alarme pour le maintien de leur indépendance au dedans.

A moins d’une agression tentée contre ses voisins (folie qui ne semble à craindre d’aucun parti, quelles que soient d’ailleurs la témérité et l’ignorance de plusieurs d’entre eux), la Suisse, dans son état actuel, tout déplorable qu’il puisse sembler à certains égards, n’appelle certainement pas et n’excuserait même en aucune manière l’intervention

  1. Appelées Landsgemeinden dans les petits cantons, et à Genève conseil général.