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plus enviés qu’appréciés par le vulgaire, la supériorité non moins gênante d’une vertu tout évangélique[1]. Ainsi, l’ancienne demeure des Haller, des Gibbon et des Staël perdit ses derniers titres à la considération de l’Europe intellectuelle.

Berne n’avait plus de déchéance pareille à subir ; mais, dans ce canton, les chefs du premier mouvement démocratique, initiés par un assez long exercice du pouvoir aux exigences réelles de toute société civilisée, inclinaient désormais vers les conseils de la modération, et n’adoptaient plus que des mesures mitigées à l’égard des adversaires politiques qu’ils rencontraient dans d’autres états. Les organes du parti démagogique n’eurent aucune peine à faire partager aux classes inférieures les doutes qu’ils exprimaient sur la capacité des magistrats dépositaires des pouvoirs publics. La révision de la constitution, demandée par plusieurs milliers de pétitionnaires, fut accordée sans résistance par le grand conseil. Les assemblées primaires, réunies au mois de février 1846, formèrent une constituante dont l’œuvre devint, le 31 juillet, loi fondamentale de l’état : c’est le code systématiquement arrangé d’une démocratie sans contrepoids et sans limites. Le droit de suffrage pour la nomination des représentans et des fonctionnaires appartient à tous les hommes âgés de vingt et un ans, même indigens ou frappés par des sentences criminelles, pourvu qu’ils soient en liberté. Le choix des nouveaux magistrats répondit à ces préliminaires, et le chef de l’expédition des corps francs contre Lucerne, envoyé sur-le-champ comme député à la diète, se trouva désigné d’avance comme le premier dignitaire du canton pour l’époque où celui-ci arriverait à la direction suprême de la Suisse. Il ne restait aux deux partis qu’à supputer les votes de leurs états respectifs. Pour la résistance aux volontés du parti radical, qui exigeait la dissolution violente de l’alliance catholique, on comptait d’abord les sept membres de ce concordat, puis Appenzell intérieur, Bâle-Ville, Neufchâtel, Saint-Gall et Genève. Les deux demi-voix des cantons partagés se trouvant annulées par l’opposition des autres moitiés, neuf voix seulement autorisaient l’emploi de la force ; mais toutes ne se prononçaient pas avec la même énergie. Zurich, canton directeur, bien que les fluctuations continuelles de sa politique intérieure eussent rendu dans ses conseils la majorité à des hommes d’une nuance voisine du radicalisme, voulait recourir d’abord à de nouvelles sommations, et ouvrir de la sorte aux cantons réfractaires la route d’un accord dans lequel leur honneur et leur sécurité ne courussent pas risque de périr complètement. Cette tendance à la modération était commune aux Grisons, à Schaffouse et à la Thurgovie. Berne, Argovie et Vaud, organes des passions extrêmes, entraînaient dans leur vote Tessin, Soleure

  1. M. Vinet.