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de la prévoyance et de la liberté. La culture des sciences, des lettres et des arts illustrait Genève, Bâle et Zurich ; elle se continuait à Lausanne et à Neufchâtel, quoique avec moins de vigueur. Genève avait repris son ancien rang parmi les foyers intellectuels de l’Europe. Des écrivains du premier ordre, des savans auxquels la voix de tous les pays adjugeait la succession des Linné et des Volta, faisaient de cette petite ville un des séjours les plus désirables qu’aucun état pût offrir. Sous le titre modeste d’académie, l’ensemble de ses écoles constituait une véritable université, fréquentée par une jeunesse d’élite venue de tous les points de l’Europe.

Dans les villes mêmes où les premiers citoyens n’avaient jamais su que combattre et gouverner, à Berne par exemple, une direction ferme et régulière semblait rendue à la politique, et, comme les charges dans le sénat tendaient à devenir en grande partie héréditaires, la diplomatie étrangère, l’ambassade de France surtout, sentaient leur tâche simplifiée, car la Suisse retrouvait à quelques égards un directoire permanent. Les diètes se succédaient avec assez de calme, et, grace à l’union étroite entre les gouvernemens entièrement aristocratiques et les gouvernemens absolument démocratiques, les décisions de ces congrès annuels étaient presque toutes prises à de très grandes majorités. Cette bonne intelligence avait sa source dans un sentiment également puissant à Berne et à Schwytz, à Fribourg et à Glaris : le respect et l’amour du passé, quel qu’il eût été pour chaque pays.

Malgré ces apparences très favorables, les symptômes d’une décomposition prochaine pouvaient, bien avant 1830, être aperçus dans les bases morales sur lesquelles reposaient ces gouvernemens suisses, dépourvus par leur essence même de toute force matérielle, et retenus ensemble par un lien très imparfait. Le parti démocratique, sorti partout de la stupeur dans laquelle les événemens de 1813 à 1815 l’avaient plongé, s’agitait pour restreindre dans les villes l’ascendant des familles patriciennes et pour accroître dans les conseils souverains la part de représentation accordée aux campagnes par les nouvelles constitutions. Le seul canton cependant où ces tendances remportèrent alors un succès législatif fut celui du Tessin ; là même, une réforme partielle de la loi politique ne fut décrétée qu’au mois de juin 1830. Partout ailleurs la résistance était molle, parce qu’elle venait des intérêts plus que des convictions ; mais elle suffisait pour maintenir un ordre de choses qu’on attaquait sans unité de plan et sans persévérance d’action.

La Suisse n’avait pas renoncé à son vieux et honorable droit d’asile, seulement elle en usait avec beaucoup de précautions, et les nouveaux citoyens, admis pour la plupart dans les cantons de Genève, Vaud, Argovie et Thurgovie, étaient soit des écrivains, des savans distingués, soit des hommes protégés par de grandes infortunes politiques dont