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de sa mémoire. Avant de réfuter ce qu’il regarde comme des bruits calomnieux, il a consulté avec un soin scrupuleux les témoignages de toute nature qu’il était possible de recueillir, lorsque tant de temps s’était déjà écoulé, il a interrogé la veuve de Fox, qui vivait encore il y a peu d’années et qui avait aussi accompagné son mari à Paris. Grace à elle, il a eu sous les yeux un journal dans lequel Fox lui-même avait indiqué sommairement toutes les circonstances de ce voyage, et un autre journal, un peu plus détaillé, rédigé par le général Fitz Patrick, qui en était aussi. Ce n’est qu’après s’être assuré de la parfaite concordance de ces témoignages avec ses propres impressions, que sir Robert Adair a cru pouvoir opposer à la version vulgairement accréditée une autre version dont on ne saurait, je le répète, contester l’exactitude qu’en l’accusant de mensonge volontaire, supposition qui n’entrera certainement dans l’esprit d’aucun de ceux qui le connaissent personnellement, je dirai même d’aucun de ceux qui ont lu ses écrits, où respire un sentiment si profond de droiture et de loyauté.

Suivant lui, le premier consul et Fox ne se virent que trois fois, et jamais seuls. C’est le 2 septembre 1802 qu’ils se trouvèrent pour la première fois en présence. Ce jour-là, tous les Anglais qui étaient Paris furent présentés, à Saint-Cloud, au chef du gouvernement français. Fox était du nombre. Napoléon se montra très poli pour tous ces étrangers, et, comme cela était naturel, accueillit avec une distinction particulière le chef de l’opposition britannique. Avec une certaine solennité, en termes choisis et évidemment préparés, il lui fit d’abord les complimens personnels les plus flatteurs. Prenant ensuite un ton plus familier, il se mit à lui développer un de ces thèmes de politique transcendante dans lesquels son esprit se jouait quelquefois un peu au hasard, et que ses admirateurs fanatiques recueillaient aveuglément comme l’expression de sa pensée sérieuse : il lui dit que le monde était partagé en deux grandes familles, la race orientale et la race occidentale, que c’était à la dernière, dont la France et l’Angleterre faisaient partie, qu’il appartenait de donner la paix à l’univers, que les lois, les mœurs, les coutumes et la religion devaient être partout réputées sacrées, respectées et protégées par tous les gouvernemens, que quiconque essayait d’y porter atteinte devait être considéré comme un instigateur de guerre civile. Ces généralités, débitées, à ce qu’il paraît, d’une manière fort décousue, n’étaient pas de nature à toucher beaucoup l’esprit net et pratique de Fox. La seule réflexion qu’elles lui suggérèrent lorsque, quelques instans après, il raconta cet entretien à sir Robert Adair, c’est que sans doute le premier consul entendait être le chef de cette famille occidentale qu’il érigeait en arbitre des destinées du monde. Avant la fin de la réception, Napoléon s’approcha une seconde fois de Fox pour lui adresser de nouveau la parole, et, au moment