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Berne la présence d’un danger que des exécutions sévères ne pouvaient détourner que temporairement. De même, à Genève, une intervention étrangère, celle de 1782, avait été indispensable pour rétablir la paix publique, troublée par les exigences des classes que la loi privait des droits politiques.

Toutefois il fallait que du dehors partît l’impulsion nécessaire pour renverser un ordre de choses enraciné par trop d’anciennes habitudes, pour mettre un terme à la lutte sourdement engagée entre la philosophie moderne et les institutions du moyen-âge. Cette impulsion, la révolution française vint la donner avec une violence irrésistible. La France, désormais dominée par le principe de l’égalité absolue entre les citoyens, et dévorée par la fièvre du prosélytisme plus encore que par celle des conquêtes, encouragea les efforts qu’en Suisse les populations sujettes ne tardèrent point à renouveler pour substituer des constitutions démocratiques aux lois politiques sous lesquelles la révolution de 1789 les avait trouvées. L’évêché de Bâle s’insurgea d’abord contre son prince, et le pays de Vaud se souleva bientôt après contre ses baillis. Une convention démagogique remplaça le gouvernement si curieusement pondéré de Genève ; elle fit couler quelques gouttes du sang le plus honorable de l’état : lugubre imitation de la tragédie formidable dont l’indignation nationale en France accélérait alors le dénoûment.

Cependant, en 1798, le directoire français, alléguant des prétextes futiles, mais déterminé dans le fait par le désir d’affermir ses conquêtes récentes en Italie et d’éloigner en même temps les dangers qui pouvaient venir encore de l’Allemagne ; le directoire, jugeant que la fermentation intérieure de la Suisse en rendait l’occupation aisée, y fit pénétrer une armée : celle-ci obtint en effet une série de faciles avantages. On vit s’écrouler sans gloire et avec peu de bruit l’échafaudage, depuis long-temps miné, des institutions aristocratiques, des souvenirs féodaux, des juridictions théocratiques et municipales ; Berne et Fribourg, Lucerne et Zurich, ouvrirent leurs portes, perdirent leurs épargnes, renoncèrent à leurs droits de souveraineté. Le directoire crut alors sa cause entièrement gagnée. Il ne se serait pas trompé, s’il n’eût été question que de renverser les gouvernemens dont le principe aristocratique répugnait à la révolution française ; mais on voulut aller plus loin. Les nouveaux maîtres de la France retombèrent dans l’erreur qui avait égaré tant de leurs prédécesseurs, rois, ministres et généraux ils voulurent assimiler à la France la république helvétique, malgré les différences radicales qui séparaient ces deux états. Ils s’arrogèrent d’ailleurs sans aucune délégation régulière une autorité qui, d’après leurs propres principes, ne pouvait appartenir qu’aux citoyens du pays bouleversé qu’on venait de proclamer affranchi. Une constitution unitaire