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ces causes eussent produit tous les effets qu’on pouvait en attendre, un événement dont les hommes judicieux sentaient l’approche depuis l’invention de l’imprimerie, et même depuis les prédications de Jean Hus, vint ouvrir à la Suisse de nouvelles destinées, retremper son courage dans des dangers nouveaux.


III.

Jusqu’au commencement du XVIe siècle, le caractère des Suisses avait été uniformément marqué par un respect sincère pour la religion ; ils en pratiquaient, ils en vénéraient les préceptes avec un sentiment grave et profond qui ne s’était pas démenti, même dans l’irritation des luttes intestines et dans l’enivrement du succès. Quand, au commencement du XVIe siècle, les regards du peuple entier se tournèrent vers l’Italie, l’honneur de servir le saint-siège et de rendre victorieux le gonfalon de l’église qui leur avait été confié était ce qui échauffait surtout l’ambition des principaux capitaines ; mais le contact avec les prélats d’une cour corrompue, avec les lettrés d’un pays où l’esprit de la renaissance semblait vouloir réhabiliter les influences morales condamnées par le christianisme, ne tarda point, avec l’expérience directe de la politique toute profane qui prévalait alors au Vatican, à porter un coup sérieux aux convictions religieuses des Suisses[1].

Dans le même temps (1517 à 1520), Luther à Wittemberg, Zwingli à Zurich, prêchèrent ouvertement ce qu’ils nommaient la réformation de l’église ; d’une extrémité de la Suisse à l’autre, les novateurs trouvèrent des adeptes décidés à les appuyer, s’il le fallait, par le sacrifice de leur vie et de leurs biens. La résistance ne fut guère moins rapidement et moins résolûment organisée. Le différend devint promptement inconciliable, et la Suisse, scindée en deux communions par la divergence des vues religieuses, perdit sans retour cette unité de tendances morales sans laquelle l’unité politique n’a rien d’efficace, ou du moins de complet.

De 1521 à 1537, la Suisse fut dévorée par la fièvre des controverses armées ; enfin, chacun des états de la confédération adoptant pour soi une communion religieuse exclusive et l’imposant à ses ressortissans, l’ordre se rétablit, quoique l’uniformité demeurât détruite. Les résolutions prises dans plusieurs communes, dans plusieurs assemblées délibérantes, ne furent arrêtées qu’à une faible majorité. Cependant les citoyens hésitèrent rarement à s’y conformer, et les émigrations d’un canton à l’autre n’eurent lieu que sur une petite échelle : singulière preuve du pouvoir que l’idée de la volonté publique légalement

  1. Les chants populaires de cette époque mettent en pleine lumière ce fait important.