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Ce principe d’affranchissement, dont l’application était rare encore et nouvelle au XIVe siècle, fut le seul auquel les Suisses tinrent constamment ; ils se montraient sur tout le reste disposés à transiger avec les pouvoirs qu’ils trouvaient établis. En recevant sous leur protection des princes féodaux, ecclésiastiques ou séculiers, ils garantissaient à chacun de ceux-ci l’exercice de son ancienne souveraineté. Ces républicains, attachés à leur propre pays avec une tendresse enthousiaste, se courbaient encore avec respect devant l’emblème de l’omnipotence impériale[1] ; ils délivraient des lettres de combourgeoisie aux comtes de Neufchâtel et de Gruyères, aux évêques de Bâle et de Lausanne, aux abbés d’Engelberg et de Saint-Gall. Dans la constitution des villes qui recherchaient leur alliance, ils admettaient sans objection le principe du patriciat toutes et quantes fois il avait prévalu. Malgré les violences souvent cruelles que, dans ces âges de brutalité, l’état presque constant de guerre entraînait avec soi, on peut affirmer que le respect du droit traditionnel[2], point de départ de l’union du Grütli et de la première prise d’armes des Suisses, persista pendant plusieurs siècles dans l’esprit politique de cette nation. La bonne fortune qui accompagnait toutes ses entreprises tendait pourtant à produire l’affaiblissement de ce principe. Dès le commencement du XVe siècle, après les triomphes de Sempach et de Noefels, le nom des Suisses fut entouré d’un glorieux prestige ; leur exemple portait au loin la contagion de la liberté politique. Alors les pasteurs d’Appenzell chassèrent les baillis de l’abbé de Saint-Gall, et, proclamant l’affranchissement universel des serfs, firent, pour l’accélérer, une sorte de croisade jusqu’au cœur des terres souabes, dont toute la noblesse s’émouvait au seul nom de ces terribles vachers. Alors encore les paysans de la Haute-Rhétie, soulevés contre leurs maîtres, ecclésiastiques et séculiers, organisèrent la triple ligue où des institutions politiques, imprégnées du génie du moyen-âge, ont subsisté presque sans modifications jusqu’au lendemain de notre grande révolution. Les Valaisans avaient donné l’exemple aux Grisons[3]. Sans vouloir admettre dans leur confédération étroite ces trois républiques naissantes, les cantons suisses leur décernèrent volontiers le rang d’alliés. D’un autre côté, Soleure et Fribourg, qui n’appartenaient point encore aux ligues, s’agrandissaient aux dépens des gentilshommes leurs voisins. Berne se composait par des conquêtes successives un domaine égal au quart de l’ancienne Helvétie ; le territoire de Zurich prenait aussi de grands accroissemens ;

  1. L’aigle à deux têtes, lesquelles figurent l’Occident et l’Orient. Dante l’appelle : Il santo uccello.
  2. Herkommen und Recht.
  3. Le Valais devint républicain en 1400 ; les ligues Grises furent établies entre les années 1396 et 1436 ; l’affranchissement d’Appenzell était complet en 1411.