toute hâte. Le panslavisme russe s’est fait connaître chez les Bulgares et les Serbes, en cherchant à les séduire. Ils savent ses ambitions, ses projets, ses instrumens, et ils savent, par là même, qu’en portant aujourd’hui un dernier coup au pouvoir des sultans, ils serviraient seulement la fortune des tzars. Ils sont donc résignés à ne tenter ce suprême effort que le jour où ils seraient certains de ne servir que l’illyrisme, c’est-à-dire le jour où, par eux-mêmes, par leurs frères de l’Illyrie autrichienne, et par leurs alliés naturels des autres pays slaves, ils se croiront assez puissans pour conserver tout ce qu’ils auront conquis.
Ainsi agissent, à côté des Slaves de l’Autriche, les Slaves de la Turquie. Ils ne mettent point dans leur poursuite de la nationalité cette connaissance des systèmes politiques, cette vivacité d’esprit, ces passions bruyantes qui éclatent en Croatie. Pourtant ils y mettent aussi de la prudence. Si le moment venait d’y déployer de la force, du dévouement et du courage, combien ne le feraient-ils pas encore plus facilement ! Qui ne connaît, en effet, leurs instincts belliqueux, leur habitude des privations, leur mépris du danger, et aussi leur aptitude pour la guerre de partisans, si bien appropriée aux luttes qu’ils espèrent ?
Les Croates, les Slavons, les Carinthiens, les Carniolais, les Styriens, les Dalmates, sont donc les penseurs ; mais les Serbes, les Bosniaques, les Bulgares, les Monténégrins, seraient les soldats de l’illyrisme. Ainsi, le rôle et la place de chacun sont marqués par la diversité des mœurs. Que manque-t-il encore aux Illyriens, et que leur faut-il de plus pour prospérer, si ce n’est un peu de cette faveur de la fortune qui donne les occasions heureuses ?
J’ai vu d’autres populations engagées dans les mêmes voies et suivant la même pensée pour des motifs semblables, les Magyars de la Hongrie, les Roumains de la Transylvanie et des principautés moldo-valaques. Ni les descendans des anciens Huns, ni ceux des colons romains de la Dacie, ne m’ont semblé aussi avancés et plus dignes d’arriver au terme que les fils aînés des vieux Illyriens, ces ancêtres respectés de la grande race des Slaves. Si leur destinée devait en effet s’accomplir telle qu’ils se plaisent à l’imaginer ; bien des questions embarrassantes se trouveraient du même coup résolues, car la grande Illyrie, maîtresse des provinces méridionales de l’Autriche, couvrirait aussi, à peu de chose près, toute la Turquie d’Europe, et peut-être alors Constantinople, pressée par les Illyriens déjà répandus dans son voisinage et de jour en jour plus nombreux et plus forts, passerait-elle enfin en d’autres mains. Par le cours naturel des événemens et sans péril pour l’équilibre européen, la succession des Turcs reviendrait à leurs héritiers légitimes ; l’empire aurait seulement changé de nom, de gouvernement et de principes.
H. DESPREZ.