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l’ame est souvent le prélude de grandes fautes. Il semble, en effet, que, sous l’empire de ces sentimens chagrins et de ces reproches intérieurs, le cœur se remplisse d’une sombre amertume et se laisse plus facilement entraîner à de tristes violences. Avec une précipitation qui trahissait le trouble d’une conscience mal affermie, Nelson se décida à faire juger immédiatement Caracciolo. Un conseil de guerre, présidé par le comte de Thurn, commandant de la frégate napolitaine la Minerve, reçut l’ordre de s’assembler à bord du Foudroyant, et à midi une sentence de mort était porté contre l’infortuné vieillard : ni ses cheveux blancs ni ses glorieux services n’avaient pu le sauver.

Dès que cet arrêt lui eut été communiqué, Nelson donna les ordres nécessaires pour qu’il fût exécuté le soir même. Caracciolo devait être pendu à la vergue de misaine de la frégate la Minerve. Après avoir si long-temps proclamé la nécessite de raffermir l’autorité royale par de rigoureux exemples, Nelson obéissait-il alors à un zèle fanatique, ou, cédant à d’infâmes suggestions, secondait-il en ce jour de lâches inimitiés et d’ignobles vengeances ? Il est certain que sir William et lady Hamilton étaient en ce moment à bord du Foudroyant, qu’ils assistèrent tous deux à l’entrevue de Nelson avec le cardinal Ruffo, servirent d’interprètes à l’amiral anglais et prirent une part très vive à cette conférence orageuse ; mais, quand bien même de pareils conseillers n’eussent pas été à ses côtés, il est probable que la conduite de Nelson n’eût point été différente en cette occasion. Proclamé dans l’Europe entière le champion de la légitimité, Nelson était alors enivré de sa propre gloire. Sa raison s’altéra au contact de tant d’adulations et s’égara dans un dévouement aveugle. Il avait d’ailleurs professé de tous temps une singulière estime pour cette espèce de courage qu’il appelait courage politique, et qu’il faisait consister dans l’adoption de mesures hardies et extrêmes, chaque fois que les circonstances semblaient en exiger l’application. Il se louait lui-même de savoir prendre en ces occurrences une détermination prompte et énergique, et d’être au besoin un homme de tête aussi bien qu’un homme de cœur. Alliant, à cette initiative irréfléchie une persistance opiniâtre, dès qu’il se fut engagé dans cette voie détestable où allait se souiller son honneur, il ne voulut plus reculer.

L’infortuné Caracciolo supplia deux fois le lieutenant Parkinson, à la garde duquel il était confié, d’intercéder pour lui auprès de lord Nelson. Il demandait un second jugement ; il demandait, du moins, s’il devait subir sa sentence, la faveur d’être fusillé « Je suis vieux, disait-il, je ne laisse pas d’enfans pour pleurer ma mort, et l’on ne peut me supposer un vif désir de prolonger une vie qui, dans le cours de la nature, devait bientôt finir ; mais le supplice ignominieux auquel je suis condamné me semble trop affreux. » Le lieutenant Parkinson n’obtint aucune répons de l’amiral, quand il lui transmit cette requête ;