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parvint à recruter un corps de cavalerie, et deux officiers expérimentés, Spano, vieilli dans les grades inférieurs de l’armée, Wirtz, colonel suisse autrefois au service du roi, prirent le commandement de deux régimens d’infanterie. Chacun en ce moment voulait concourir au salut de l’état. Les plus nobles dames quêtaient dans les églises au nom de la république, les comédiens ne représentaient plus que des tragédies d’Alfieri, et cette femme qui fut peintre, improvisatrice et martyre, la fameuse Éléonore Fonseca Pimentel, chargée de rédiger le Moniteur républicain, réchauffait de sa verve les esprits attiédis, les cœurs trop prompts à se décourager. L’instant critique était en effet venu : en quelques jours, la république parthénopéenne se serait consolidée ou aurait vécu. La cour, livrée à de stériles regrets, ne lui avait point fait obstacle, mais le peuple des campagnes, comme le peuple de Naples, s’était prononcé spontanément contre elle. C’était là l’ennemi que la jeune république devait étouffer sans retard, sous peine de succomber avant même d’avoir révélé son existence à l’Europe. On attaquait moins d’ailleurs son principe que son origine. La haine de l’étranger, dont elle avait accueilli le drapeau, avait soulevé contre elle les populations sauvages des Abruzzes et de la Calabre, un instinct de désordre et de brigandage empêchait ces populations de déposer les armes.

Les provinces napolitaines étaient alors soumises à l’influence immédiate de riches et puissans feudataires, dont une milice armée, connue sous le nom de sbires, faisait exécuter les volontés et les caprices. Les vices inhérens à ces sortes d’administrations féodales avaient depuis longtemps peuplé les montagnes d’une foule de bandits et de misérables qui formèrent avec les troupes baroniales le noyau des premiers soulèvemens. Dans les Abruzzes, les paysans marchaient sous la conduite d’un ancien sbire du marquis del Vasto, que plusieurs homicides avaient fait autrefois condamner aux galères ; dans la terre de Labour, une bande de brigands obéissait aux ordres d’un assassin à qui ses crimes avaient valu le surnom de Frà Diavolo, et que Nelson, habile à défigurer les noms étrangers, appelait alors le grand diable. Un ancien meunier, Gaëtano Mammone, partageait avec Frà Diavolo le commandement des insurgés de cette province. Les environs de Salerne étaient occupés par un rassemblement à la tête duquel combattaient un évêque et un ancien chef des troupes de la police, Gherardo Curci, surnommé Sciarpa La Basilicate était déchirée par la guerre civile, et quatre imposteurs corses, se faisant passer pour des princes du sang ou de grands officiers de la couronne, mettaient la Pouille et la Capitanate en feu. Ce n’étaient là pourtant que des mouvemens secondaires ; l’insurrection la plus grave avait éclaté dans la Calabre. Habitués à une vie rude et active, les Calabrois feraient aisément de bons soldats ; leur intelligence