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tout perdu dès le principe, fit naître la pensée de cette fuite odieuse, précédée du pillage, suivie de l’anarchie, et que les Anglais qui l’avaient conseillée devaient rendre plus odieuse encore.

« Je n’oubliai point dans ces importans momens (écrivait Nelson le 28 décembre au comte de Saint-Vincent) qu’il était de mon devoir de ne pas laisser derrière moi de vaisseaux napolitains qui pussent tomber entre les mains de l’ennemi. Je me préparai à les brûler avant mon départ ; mais les représentation de leurs majestés m’engagèrent à différer cette opération jusqu’au dernier moment. J’ai donc invité le marquis de Niza à faire mouiller l’escadre napolitaine au large de sa division, et à diriger sur Messine ceux de ces bâtimens qu’il pourrait équiper avec des mâts de fortune. Je lui ai prescrit en même temps si les Français s’approchaient de Naples, ou si le peuple se révoltait contre son gouvernement légitime, de détruire immédiatement tous les navires de guerre napolitains et de venir me joindre à Palerme. »

Quelques jours après le départ de la famille royale, 3 vaisseaux, 1 frégate et quelques corvettes furent livrés aux flammes. En moins d’une heure, la marine napolitaine eut cessé d’exister. Aux plaintes de la cour, Nelson répondit que ses ordres avaient, été mal compris ; il désapprouva hautement l’officier portugais qui les avait exécutés, le commodore. Campbell, l’accusant d’avoir incendié les navires napolitains, contrairement à ses instructions, au moment où les troupes de sa majesté obtenaient quelques avantages sur l’armée ennemie. Il se montra même disposé à traduire cet officier devant un conseil de guerre ; mais la bonne et aimable reine voulut bien intervenir dans cette désagréable affaire : le coupable rentra en grace et Nelson lui pardonna en faveur de ses bonnes intentions.


II.

Pendant que les événemens que nous venons de raconter se passaient dans le royaume de Naples, la victoire d’Aboukir portait ailleurs ses fruits, et les tristes conséquences de notre impuissance maritime commençaient à se faire sentir. Dès les premiers jours du mois d’octobre 1798, les Maltais soulevés recevaient de l’escadre anglaise 1,200 fusils et des munitions ; 10 vaisseaux russes et 30 bâtimens turcs, rassemblés aux Dardanelles, se portaient sur les îles Ioniennes, et une expédition, partie de Gibraltar, faisait voiles vers Minorque. Un mois plus tard, Corfou se trouvait investi par 8,000 Turcs, la garnison de Malte était assiégée par 10,000 Maltais, bloquée par 3 vaisseaux anglais, et resserrée dans l’enceinte fortifiée de La Valette ; Minorque succombait sous les efforts réunis du commodore Duckworth et du général Stuart. Tous ces postes avancés, qui gardent les issues de la Méditerranée et qu’une politique prévoyante, dont les vues se dirigeaient déjà vers l’Orient, avait mis entre les mains de la république ou rangés sous son influence,