Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/952

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de cette auréole intacte qui n’entoure que des fronts vierges de toute souillure. « Mon grand et excellent fils, écrivait son père à cette époque, est entré dans ce monde sans fortune, mais avec un cœur honnête et religieux… Le Seigneur l’a couvert de son bouclier au jour du combat, et a exauce les vœux qu’il formait d’être un jour utile à son pays… Honneur de mes cheveux blancs, il est aujourd’hui, à l’âge de quarante ans, aussi gai aussi généreux, aussi bon que jamais. Il est sans crainte, parce qu’il est sans remords. ». Si l’on croit retrouver dans cette rapide esquisse la physionomie vive et confiante de l’intrépide amiral qui montait le Vanguard, ce n’est point à ces traits, il faut en convenir, que quelques mois plus tard on eût pu reconnaître l’amant adultère de lady Hamilton et le meurtrier de Caracciolo.

C’était en 1793, quand lord Hood le chargea d’aller réclamer auprès du roi Ferdinand IV l’envoi d’un corps de troupes destiné à défendre Toulon, que Nelson avait connu pour la première fois ces indignes amis qui devaient exercer une si triste influence sur son avenir, sir William et lady Hamilton ; mais alors sir William n’avait été pour le capitaine de l’Agamemnon qu’un agent diplomatique dont Nelson vantait l’activité et l’ardeur, et lady Hamilton qu’une jeune femme aimable dont il avait remarque la grace et la distinction. Nelson ne passa d’ailleurs en cette occasion que quelques jours à Naples, et n’y reparut plus qu’après la victoire d’Aboukir.

Sir William était frère de lait du roi George III. Accrédité depuis plus de trente ans, en qualité de ministre d’Angleterre auprès du gouvernement des Deux-Siciles, il jouissait d’une très grande faveur à la cour de Naples. Il aimait passionnément la chasse : c’était un titre à la bienveillance de Ferdinand IV. Il passait pour aimer les beaux-arts, quoiqu’il fût soupçonné à cet égard d’un zèle un peu mercantile : c’était un titre aux bontés de la reine. Cependant, vivant dans l’intimité de ces deux souverains et honoré de leur confiance, sir William ne se faisait point faute d’exercer son esprit à leurs dépens : c’était un vieillard facétieux et jovial, très libre dans ses discours et fort désabusé des illusions de ce monde, un épicurien anglais dont les plaisanteries inépuisables eussent suffi, au dire de Nelson, pour guérir et ranimer le comte de. Saint-Vincent, si ce dernier, en 1799, fût venu demander au climat de Naples la santé qu’il allait chercher en Angleterre. Les Anglais sont en général d’assez froids plaisans : il sied mai à leur tempérament flegmatique de jouer avec le vice et de se railler des choses honnêtes et décentes. Le bon sir William comme l’appelait Nelson, était donc un de ces esprits sceptiques et peu délicats qui se rencontrent rarement chez ce peuple habitué à respecter si profondément la sainteté des vertus domestiques. De tels esprits, avec la teinte sèche et positive qu’ils empruntent au caractère britannique, offrent je ne sais quoi de plus nu et de plus repoussant encore