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dont toutes les productions de Mozart, même les plus légères, sont empreintes, il les exhala dans cette œuvre suprême, qui, ainsi qu’il se l’était dit à lui-même, averti par un pressentiment trop sûr,devait être chantée autour de son cercueil. Ici encore une nouvelle révolution s’est accomplie, due presque en totalité à Mozart lui-même, une révolution partielle dans certaines formes de style, dans la coupe des morceaux, une révolution complète dans l’instrumentation. La musique pittoresque est créée, les diverses sonorités des instrumens habilement mélangées et groupées, ou savamment opposées entre elles ; les timbres variés de l’orchestre vont fournir au compositeur des couleurs au moyen desquelles il reproduira les images du texte liturgique. Mais quelle sobriété dans l’emploi de ces moyens ! Mozart se contente d’esquisser le principal trait, l’imagination de l’auditeur complète le tableau. Ainsi le Quantus tremor est futurus est peint par un vigoureux tremolo de deux mesures, ainsi une phrase de trombone de trois mesures signale le Tuba mirum ; ainsi, dans l’offertoire, la figure De ore leonis est indiquée par un saut brusque des violons de l’octave aiguë à l’octave inférieure. Voilà pour la partie poétique. Dans la partie consacrée à la prière, à la supplication, aux gémissemens, l’auteur emploie un tout autre procédé. Les images, les couleurs, disparaissent et font place à l’accent du cœur, au cri de l’ame. Ce sont tantôt des sanglots entrecoupés comme ceux que l’on entend sur le vers Cum vix justus sit securus, un trait d’orchestre menaçant et terrible comme celui qui accompagne le verset Rex tremendae majestatis, et qui, en conservant sa forme et son dessin, change tout à coup de caractère et d’expression sur les parole Salva me ; tantôt, enfin le triple élan sur lequel s’élèvent les trois vers de la strophe Ingemisco tanquam reus, ou l’accord déchirant qui opère la résolution des deux périodes suivantes : Qui Mariam absolvisti et latronem redimisti. Nous citerons encore, dans le Voca me cum benedictis, les placides accens des élus opposés aux imprécations des réprouvés, la triple période enharmonique et le triple crescendo de l’Oro supplex, qui peignent si merveilleusement le pécheur prosterné, le front dans la poussière, la poitrine gonflée de soupirs, implorant son pardon. N’oublions pas surtout cette mélodie, pleine d’angoisse du Lacrymosa, où toutes les voix réunies s’élèvent se prolongent et montent sans fin pour s’éteindre dans le silence.

La messe des morts de Cherubini (ceèlle qu’il écrivit pour les funérailles du duc de Berry, car nous n’avons pas dessein de parler de son Requiem pour voix d’hommes, ouvrage de la vieillesse de l’auteur, et qui, malgré d’incontestables beautés, n’en est pas moins fort loin du premier, dont il reproduit trop fidèlement le calque) ; la messe des morts de Cherubini, disons-nous, est sinon composée d’après un système, du moins d’après un point de vue différent de celui de Mozart. Mozart avait conçu son œuvre dans une forme analogue à celle de l’oratorio. Il avait divisé sa prose en plusieurs morceaux de divers caractères, ce qui lui avait permis d’y intercaler des solos, des quatuors, des ensembles et des chœurs. Après avoir ménagé les forces de son orchestre dans deux mouvemens que lui a inspirés le Requiem aeternam, tous les deux admirables de noblesse et d’onction funèbre, Cherubini prend la prose en bloc ; il en fait un grand chœur, une action dramatique où tout se suit sans interruption. Il faut reconnaître que ce plan est plus conforme à l’idée du Dies irae. La rapidité de cette marche est peu compatible, il est vrai, avec cette recherche de détails, cette curiosité