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La Prusse voudrait bien commander sur notre frontière du nord, comme elle commande sur notre frontière de l’est. L’Autriche ne se tient pas davantage pour battue sur la ligne des Alpes. Appuyée sur ses possessions d’Italie, elle régente plus hardiment qu’on ne le saurait dire toute une partie de la Suisse, et provoque ainsi les tristes déchiremens ou la confédération menace de se dissoudre. Quelques faits de date récente ont trahi cet empire qu’elle dissimule d’ordinaire avec plus d’habileté. M. de Philippsberg, le chargé d’affaires d’Autriche, est allé presque officiellement à Coire pour sommer les Grisons de retirer le suffrage qu’ils ont donné dans la diète contre l’alliance des sept. Il s’est adressé au petit conseil et l’a qualifié d’organe légal du canton, malgré la constitution qui attribue exclusivement au grand conseil le droit de donner des instructions pour voter en diète ; il s’est attiré une réponse publique, dans laquelle les magistrats menacés invoquaient, pour se couvrir de l’Autriche, une indépendance de quatre siècles. On a pu voir ainsi par le détail comment le cabinet autrichien en usait avec ses pauvres voisins, dont la sécurité complète est cependant si nécessaire à l’ordre général de l’Europe. On s’est rappelé les mauvais traitemens que souffre depuis si long-temps le Tessin, les brigandages provoqués à Lugano en 1799, les violences exercées sur le parti libéral en 1814, renouvelées progressivement à partir de 1830. Dans les Grisons, jusqu’ici l’on n’avait pas encore eu besoin de ces rigueurs, on s’entendait avec l’oligarchie rhétienne ; on lui donnait du service dans les armées ou dans les bureaux, on répandait à propos les décorations, enfin on avait déclaré franche de tous droits régaliens la grande route du Splugen, vraie fortune du canton. On annonce aujourd’hui qu’on retirera ces faveurs et qu’on prendra des mesures justifiées par le droit des gens, si le canton ne rétracte son vote. Il faut se croire bien sûr d’être obéi pour dicter ainsi la loi.

Quant à la Russie, elle, n’est pas tellement occupée sur la Vistule, qu’elle oublie un instant de se frayer sa voie sur le Danube. Dans les pays moldo-valaques, l’intérêt bien entendu de la politique ottomane, sinon des cupidités particulières du divan, ce serait de créer un corps assez solide pour tenir plus près de la Russie le même poste que gardent un peu plus loin les Serbes ; ce serait par conséquent d’unir les deux pays sous un même suzerain, à qui on donnerait l’hérédité sans l’affranchir de la dépendance. Cette concession, que nous avons su obtenir pour l’Égypte, n’aurait-elle pas mieux profité aux Moldo-Valaques ? C’est là en effet le vœu du pays, c’est la condition première d’une fédération durable entre les provinces danubiennes et la Porte, c’est le meilleur moyen de couper court aux intrigues russes et de leur barrer le chemin de Constantinople. Une souveraineté divisée, des fonctions princières révocables, des élections toujours possibles, une aristocratie corrompue toujours prête à se vendre, toujours disposée à la brigue, voilà plus qu’il n’en faut pour donner carrière aux conquêtes souterraines du cabinet moscovite. Aussi voyez comme celui-ci marche de tous les côtés à la fois. On assure que les agitations de 1841 recommencent en Bulgarie, et l’on parle d’une conspiration tramée contre le prince Bibesko et récemment découverte à Kraïowa. Sous l’influence de ces chrétiens contre le nom turc, alors même que le sultan poursuit avec tant de courage l’abolition des haines religieuses. Chose étrange, à l’autre extrémité de l’empire, le zèle des