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des Français par l’ambassadeur de la Porte, comme l’avait été Ibrahim-Pacha. Le gouvernement français n’avait qu’à régler sa réponse et sa conduite sur les relations que depuis deux cents ans nous entretenons avec Tunis. Depuis deux siècles, nous avons conclu des conventions, des traités de commerce avec le bey de Tunis. Si le bey est un ancien vassal de la Porte, si le sultan se regarde toujours comme son suzerain, de fait il n’est plus son souverain, surtout pour nous qui avons depuis long-temps reconnu l’indépendance de Tunis. Il était donc naturel que le bey fût reçu avec les honneurs dus aux princes souverains. En lui faisant cet accueil, le gouvernement français a pensé avec raison qu’Ahmed-Pacha n’était pas dans la même situation qu’Ibrahim. Le sultan est véritablement encore le souverain de l’Égypte ; il a délégué sa souveraineté, mais il en a retenu le principe et les droits régaliens. Sur Tunis, au contraire, il n’a plus qu’une ombre de suzeraineté, qui laisse intacte l’indépendance du bey. Ahmed-Pacha a été fort sensible à une reconnaissance aussi solennelle de son caractère et de ses droits, et il professe pour la France un véritable enthousiasme. Par son origine, par son éducation, il était disposé à comprendre plus facilement notre civilisation. Ahmed-Pacha a pour mère une Génoise, une chrétienne, qui vit encore à Tunis. On le prendrait en le voyant pour un général européen.

Quand Ahmed-Pacha a débarqué en France, il avait l’intention d’aller de Paris à Londres, et de prévenir, par cette politesse, les ombrages que l’Angleterre aurait pu concevoir de sa présence parmi nous. Dans ce dessein, il a fait pressentir l’ambassade anglaise sur la réception qu’il pouvait attendre. Lord Normanby a eu la loyauté de lui donner avis qu’il ne devait pas espérer à Londres un accueil semblable à celui dont il était ici l’objet ; l’Angleterre ne le recevrait pas comme un prince Souverain ; mais comme un gouverneur d’une province turque. On assure que cet avertissement a déterminé Ahmed-Pacha à renoncer à son voyage ; en effet, il accepterait, en allant à Londres, une situation inférieure à celle que la France lui a faite.

C’est notre politique naturelle d’étendre une main protectrice sur les états limitrophes de l’Algérie. Toutes les fois que le gouvernement français a pu craindre que le sultan n’inquiétât son ancien vassal, il a envoyé quelques vaisseaux en vue de Tunis, et cette démonstration a toujours eu son effet. Le bey de Tunis a donc un véritable intérêt à s’attacher à nous. Du côté du Maroc, il sera plus long, plus difficile de cimenter une alliance : cependant le nom de la France a été glorieusement répandu dans les état d’Abderrhaman par la bataille d’Isly. Notre consul-général à Tanger, M. de Chasteau, a été chargé d’offrir à l’empereur de nombreux présens, des armes, plusieurs petites pièces de canon, des chevaux. Le ministre des relations extérieures d’Abderrhaman est allé attendre M. de Chasteau à Mazagan, et doit l’accompagner jusqu’à la résidence de l’empereur. Quand on a voulu épouvanter la France sur les conséquences de l’occupation de l’Algérie, on lui a prédit serait entraînée par la force des choses à la conquête de Tunis et du Maroc. Les alliances sont moins dispendieuses et plus sûres que la conquête, et elles peuvent nous conduire au même but ; la possession paisible de l’Algérie et un juste ascendant sur la Méditerranée.

C’est cet ascendant dans la Méditerranée qui est au fond l’éternel débat entre l’Angleterre et nous. Sans cela, le double mariage n’eût pas excité à Londres tant de colères ; il n’a paru une entreprise si coupable que parce qu’il pouvait augmenter