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terre embaume les chanteurs ; — les rossignols, sur les branches fleuries, — chantent à qui mieux mieux. – Tout est juste, et pourtant personne ne bat la mesure. – Eh bien ! pour tout entendre, tant que le concert dure, — ma vigne est une place d’honneur, — car je plane, du haut du tertre où j’ai ma grotte, — sur le paradis d’Agen, le combe de Berouno… »


N’y a-t-il, dans cette poésie, avec des développemens nouveaux, quelque chose de semblable à ce tendre sentiment qui faisait dire à Horace : « Ce coin de terre me plaît au-dessus de tous les autres ! » Certes, le pays qui inspire de pareils vers est digne d’être aimé, digne d’être préféré de ceux qui y vivent ; il mérite bien aussi que ceux qui en sont éloignés par le hasard tournent toujours vers lui un regard d’envie et de regret, comme on dit que les Mores chassés de l’Andalousie se souvenaient en rêvant de Grenade, comme la pâle Mignon, dans les brumes du Nord, chantait encore la contrée où les citronniers fleurissent.

Tout ceci ne m’éloigne pas autant qu’on le pourrait croire du nouveau poème de Jasmin ; j’y reviens au contraire naturellement, après avoir résumé les qualités du poète, après avoir essayé de montrer son talent tel qu’il est, tout à tour lyrique et dramatique : c’est ce double caractère qui se retrouve encore dans son nouvel ouvrage. Les Deux Jumeaux (lous dus Bessous) ne sont pas peut-être aussi considérables que Françounetto : le poème compte à peine deux cent cinquante vers ; mais il porte la même empreinte que les compositions antérieures de Jasmin. Dans les proportions que l’auteur lui a données, c’est la même alliance de naturel et d’art ; c’est la même facilité d’invention, le même éclat précis de langage, si l’on peut ainsi parler, et il y a aussi cette variété de tableaux où le poète aime à se jouer. Jasmin, en effet, est un des hommes dont les œuvres pourraient fournir le plus au pinceau d’un peintre de genre. Il y a un sentiment moral, élevé dans les Deux Jumeaux : c’est la mise en action du dévouement fraternel ; c’est l’histoire de deux existences qui se développent parallèlement, qui, au lieu de se partager le bonheur, sont destines à se heurter et se sacrifient volontairement l’une à l’autre sans bruit, sans ostentation, sans cette hypocrite vanité de la vertu, mais non sans de secrets déchiremens. L’idée au fond, n’est pas neuve, peut-on dire ; les frères ennemis sont une vieille histoire : oui, sans doute ; mais ce qui est moins usé, c’est le spectacle de deux cœurs jeunes, pleins de feu, subitement agités d’une même passion et en qui l’amour ne tue pas l’amitié, qui ne songent pas seulement à se haïr, et, se passant pour ainsi dire la coupe du sacrifice, goûtent l’un après l’autre la volupté amère et douce du dévouement.

Jasmin a dédié les Deux Jumeaux à M. De Salvandy, grand maître des