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A la terre aimée,
L’hiver quand elle a froid ;
Ou d’une ondée
De sa fontaine sacrée,
L’été quand elle a soif !
Que l’homme fasse ainsi ; il y a des peines cruelles
Qui se cachent partout entre deux murailles ;
Qu’il aille les déterrer dans leurs chambres étroites,
Et qu’au lieu de compter les astres, les étoiles,
Ah ! qu’il compte ici-bas le nombre des pauvres !

Voyez à côté, cependant, ce petit poème, le Médecin des pauvres, dont l’idée n’est point différente. Ici, ce n’est plus la riche effusion lyrique, c’est un récit tout simple, tout émouvant, c’est un drame sur la charité, sur la bienfaisance. Jasmin met en scène un homme qui est la providence des pauvres et qui a vécu bien véritablement à Agen, — car l’auteur de Françounetto ne fait ainsi le plus souvent que poétiser la réalité. Deux jeunes filles se rencontrent, l’une gaie, souriante, heureuse, l’autre triste, chagrine et les yeux en larmes. Il se trouve que la première doit son bonheur au médecin des pauvres, qui a ramené la prospérité dans sa famille, tandis que l’autre à son frère qui meurt dans l’abandon et le dénûment. Toutes deux courent alors vers la maison du bienfaiteur des malheureux ; mais, hélas ! elles ne trouvent, en arrivant, que le convoi funèbre de cet homme ; dont la vie fut consacrée à la charité. Ce n’est là qu’une sèche et courte analyse de ce poème d’un si dramatique intérêt ; il faudrait le lire dans l’original pour en goûter les pures et sérieuses beautés.

Le même naturel, qui se manifesté avec tant de grace dans la personne de Jasmin, brille au plus haut point dans ses ouvrages. Rien n’est forcé, rien n’est prétentieux ; tout est simple et vrai. C’est sans effort qu’il est poète ; il ne cherche point certes à mêler une inspiration d’emprunt à son inspiration populaire ; il est assez riche sans cela. Qu’on ne lui parle pas de classique ou de romantique : ce sont des mots qu’il ne comprendrait pas, et dont il serait bien capable de rire, tant il est peu respectueux envers cette souveraine logomachie. Son unique conseillère, à lui, c’est la nature. Et ce qui n’est pas moins surprenant, c’est que livré à lui-même, sans aucune étude, n’ayant d’autre guide que son propre instinct, il a poussé l’art jusqu’à la perfection. Nul, mieux que lui, ne mesure la convenance de l’expression ; il n’est pas de poète plus riche et plus concis en même temps ; dans ses œuvres, on trouverait difficilement un mot à ajouter, un mot à retrancher. Chacune de ses compositions est achevée et a ce brillant relief qui est le secret du génie. On peut toujours compter sur la délicatesse du poète dans le développement de ses inventions. Soyez sûr qu’un tact infaillible