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cette immense question de l’avenir : il sied à Jasmin d’avoir foi en sa langue ; c’est un témoignage de l’originalité, de la spontanéité de son inspiration. C’est ce qui prouve que sa poésie n’est point le jeu équivoque d’un esprit qui s’amure aux mystifications de l’archaïsme.

Jasmin, il y a peu d’années encore, n’était guère connu ailleurs que dans le midi ; lui-même, il redoutait de passer la Loire ; il pouvait craindre que le langage de sa muse naïve ne fût point compris. L’épreuve a été faite cependant, et on sait combien l’issue en a été heureuse. C’est que le talent de l’auteur des Souvenirs n’a cessé de grandir, de se fortifier. Jasmin ne s’est point arrêté qu’il n’eût trouvé sa véritable voie, et il l’a trouvée réellement. Une maturité féconde de l’intelligence répond, en lui, à la maturité de l’âge. Il eût été indifférent, sans aucun doute, qu’un ouvrier de plus vînt rimer quelques chansons politiques, qu’un pauvre coiffeur d’une ville méridionale torturât sa langue pour lui faire exprimer quelques-unes de ces pensées qui sont devenues le fonds commun de toutes les littératures, mais Jasmin, après avoir d’abord payé ce tribut à l’imitation, a compris bien vite que là n’était point la poésie pour lui : un infaillible instinct l’a détourné de ce procédé vulgaire qui n’eût pas été moins fatal à la renommée de l’homme qu’à sa langue même. Vrai fils du midi, enfant du peuple, Jasmin a senti qu’il ne devait pas contraindre sa nature. Il a jeté au vent, pour ainsi parler, ces souvenirs qu’avait laissés dans son esprit quelque lecture faite à la dérobée de Béranger ou de Florian ; et a cherché son inspiration en lui-même, dans ce qui l’entourait. Les scènes de son enfance éprouvée par la misère, il les a rappelée dans un poème qui vivra tant qu’il y aura des ames délicates capables de goûter ce charmant mélange d’une gaieté heureuse, innocente, et d’une douce méanco1ie, dans les Souvenirs. Il s’est appliqué à peindre les mœurs populaires méridionales, et il les a peintes à la manière des grands poètes. Sous ces couleurs locales, si vivement accentuées, on sent vivre l’éternelle nature humaine, celle qui est de tous les temps et de tous les pays. Peu de poètes ont au même degré le don de l’émotion ; peu d’écrivains s’entendent aussi bien à surprendre le secret des passions, à analyser un sentiment naïf et énergique. Et ces qualités essentielles, elles existent pour celui qui lit à tête reposée les ouvrages de Jasmin comme pour celui qui l’écoute et se laisse bercer par son enivrante parole. Des plumes excellentes ont fait connaître les productions successives du poète méridional, l’Aveugle de Castelcuillé, Françounetto, Marthe l’innocente. Jasmin va aujourd’hui ajouter une fleur nouvelle à ce bouquet de poésie ; il persiste dans la route qu’il s’est ouverte. Les Deux Jumeaux sont le fruit d’une inspiration franchement originale et entièrement maître d’elle-même. Ce sera un succès de plus pour cette langue que l’auteur des Souvenirs s’efforce de réhabiliter. Quelle que soit d’ailleurs la destinée future de