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puissances a fournis à la coalition protectionniste ; en second lieu, quels élémens chacune d’elles lui a ôtés ; enfin, quelle est l’attitude des partis devant les intérêts que cette réaction a émancipés, intérêts qui parlent déjà en maîtres, et qui, demain peut-être, jetteront dans la balance électorale un contre-poids inattendu.

La Belgique, essentiellement manufacturière, avait dans la Hollande, essentiellement agricole et coloniale, son complément naturel. Après 1830, la prudence semblait donc ordonner aux hommes d’état belges de rendre à l’industrie, qui avait bien voulu momentanément s’effacer devant les griefs moraux d’où est née la séparation, le marché intérieur et colonial, les moyens de transports transatlantiques, les matières premières et les denrées d’alimentation que les Pays-Bas lui offraient. Le parti dominant a fait le calcul contraire : redoutant pour l’ultramontanisme flamand, qui sauvegardait et la révolution et sa propre influence, l’effet attiédissant des années, il a mis à profit la première effervescence des esprits pour déshabituer l’un de l’autre deux pays que la communauté d’origine, de langage, d’intérêts matériels, tendait chaque jour à rapprocher, et remplacer ainsi à la longue, par une sorte d’antagonisme commercial, les garanties que pouvait lui ravir l’affaiblissement possible de l’antagonisme religieux. Cette tactique s’avouait dans les journaux, dans les chambres, partout ; on l’appelait d’un mot qui, pendant dix ans, a gouverné la Belgique : «L’intérêt de la nationalité. » Les éleveurs et la pêcherie hollandais étaient en possession de la consommation belge, ce qui établissait un perpétuel courant d’échanges entre les frontières des deux pays : c’est par là que l’interdit commença ; des surtaxes furent frappées, en 1834 et 1833, sur les poissons et les bestiaux de provenance hollandaise. La longue irritation produite par la question du Lunbourg et du Luxembourg, le rêve d’une marine nationale, dont ils subordonnaient le progrès à l’exclusion du pavillon des Pays-Bas, ont mis les libéraux eux-mêmes au service de ce système d’isolement qui, dans son implacable logique, allait jusqu’à l’abandon de divers projets de canaux destinés à prévenir l’inondation des Flandres, mais auxquels on reprochait de relier ces provinces aux canaux néerlandais. Un fait récent, dont le Moniteur belge fait foi, résume assez bien le côté sérieux et le côté comique de ce nationalisme intolérant, renouvelé des antiques théocraties. Il n’y a pas trois ans, à propos de quelques bourgmestres de village, qui, sans penser à mal, suivaient dans leurs actes l’orthographe officielle des Pays-Bas, on a vu des orateurs catholiques, gens très graves d’ailleurs, taxer cette hérésie grammaticale d’orangisme et dénoncer à la vigilance des chambres les ténébreuses menées de l’aa néerlandais contre l’ae national. C’est l’isolement mosaïque dans toute sa rigueur ; c’est Israël repoussant tout pacte avec Madian et les Philistins.