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et où par conséquent les deux nuances se trouvaient représentées. Le désistement des modérés s’explique : ils n’ont plus les mêmes motifs qu’autrefois de redouter une réforme qui accroîtrait l’influence de la petite bourgeoisie et des petits fermiers. Le menu commerce, sur qui s’appuyait jadis l’influence du clergé dans les villes, peuple aujourd’hui les clubs libéraux : les élections municipales le prouvent. Cette défection est également visible chez les petits fermiers. Les catholiques, pour se rattacher l’aristocratie, ont apporté de nombreuses entraves à l’introduction des céréales étrangères, et les propriétaires, au lieu de partager avec leurs tenanciers le bénéfice de cette protection, se sont empressés de hausser les baux de fermage. Dans le Hainaut, aux environs de Tournay surtout, où, de temps immémorial, les tenanciers disposaient de leurs fermages comme de leur propre bien, au point de les diviser, de les échanger, de les vendre, de les donner en dot ou en héritage sans le consentement des propriétaires, le mécontentement s’est traduit par une espèce de jacquerie, désignée dans le pays sous le nom de mauvais gré. Sciage nocturne des arbres, empoisonnement des bestiaux, incendie des granges et des récoltes, assassinat des propriétaires et des fermiers assez malavisés pour remplacer, aux nouvelles conditions, le fermier dépossédé : tous les moyens d’intimidation sont mis en œuvre. Dans les Flandres, cette Lucerne du mouvement théocratique de 1830, le mécontentement revêt des formes plus inoffensives, mais non moins claires : les fermiers désertent les églises et les confessionnaux, ce qui, sous les régimes à base cléricale, est la façon habituelle de protester. La mauvaise récolte des deux dernières années, qui a frappé doublement les fermiers en diminuant le produit de leurs exploitations et en nécessitant la franchise temporaire des grains étrangers, est venue surexciter l’irritation produite par l’élévation des baux, et, selon la logique populaire, qui du reste ici n’est pas entièrement aveugle, cette irritation se tourne chaque jour plus vive contre le parti dominant. Rien n’est à dédaigner dans l’appréciation de l’esprit public, et le fait suivant dirait seul quelle transformation s’opère dans les collèges ruraux. Une feuille de Bruxelles, qui, par sa spécialité agricole, s’adresse exclusivement aux fermiers, et dont les tendances politiques n’étaient jusqu’ici rien moins que libérales, s’est trouvée conduite, pour arrêter la désertion de ses abonnés, à donner une éclatante adhésion au programme du congrès libéral. Les modérés n’ont donc pas fait un grand sacrifice en abdiquant des répugnances désormais sans but. Ce sacrifice ne leur est pas moins compté, et le schisme qui vient d’éclater dans le club dirigeant de Bruxelles a fourni aux ultra-libéraux l’occasion de leur rendre avance pour avance. Nos journaux, involontaires complices des feuilles cléricales de Belgique, ont cru voir dans cet incident la rupture de la coalition : c’est plutôt