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temps de se produire au grand jour, avaient singulièrement aggravé les positions. Non contens de défendre la convention de Tournay du reproche d’irrégularité, les journaux et les orateurs du clergé, dont la presse coalisée excitait habilement l’indiscrétion, et qui eux-mêmes espéraient sans doute intimider les libéraux en opposant l’offensive à l’offensive, en étaient venus peu à peu à voir dans l’exception la règle, dans la tolérance le droit. Ainsi, le retrait du projet de loi tendant à abolir la convention de Tournay ne leur suffisait déjà plus ; ce qu’ils réclamaient désormais, c’était une loi confirmative de cette convention. Devant ces manifestations si crûment ultramontaines, les questions de priorité, les scrupules de forme, étaient au moins inopportuns. Ce n’était plus entre les chambres et l’opinion, entre la majorité parlementaire et la majorité électorale, c’était entre la réaction et la légalité que le roi avait à choisir. Par un bizarre accouplement de ténacité et de faiblesse, la peur des mesures extrêmes n’aura produit en définitive ici qu’un coup d’état.

On a dit et laissé dire que M. Rogier prétendait forcer la main au roi, et que dès-lors il était de la dignité de la couronne de résister. En vérité, c’est abuser étrangement du droit d’interprétation. M. Rogier n’a pas imposé de conditions au roi, il a tout au plus refusé d’en subir, et, dans ce désaccord, tous les ménagemens sont de son côté. Le programme de M. Rogier ne tendait, en effet, qu’à faciliter la combinaison rêvée par le roi, en conciliant l’homogénéité, l’existence de la coalition libérale avec l’exclusion individuelle des ultra-libéraux ; les trois cas de dissolution, posés par ce programme, étaient le corollaire naturel, indispensable, des mêmes nécessités, et M. Rogier était d’autant plus fondé à énoncer cette dernière clause, que le roi, soit imprévoyance, soit circonspection, n’avait émis aucune réserve à cet égard. Que les libéraux, en faisant de la convention de Tournay une question de cabinet, soient la cause première de ces complications, je l’ai admis ; mais, après tout, ils dénonçaient une violation de la loi, ils usaient d’un droit incontestable, et c’était à leurs adversaires de rétablir le statu quo en cédant. Si le roi a eu la main forcée, c’est par les catholiques, qui, après avoir prôné quinze ans la nécessité des combinaisons mixtes, ont fermé à l’irresponsabilité royale cette issue, en la subordonnant à des exigences inacceptables pour la fraction la moins exclusive du parti libéral. Cette idée des combinaisons mixtes est, en effet, une vieille invention des catholiques ; elle date de l’époque où ce parti, encore maître de l’opinion et certain de trouver dans les lois existantes la consécration de ses empiétemens, pouvait feindre impunément l’impartialité. M. de Theux a dirigé six ans une administration mixte, et il en a protégé deux autres pendant cinq ans. M. Dechamps a fait plusieurs discours sur l’impossibilité des combinaisons exclusives. M. Malou s’est