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qu’une tactique d’opposition était de nature à rassurer pleinement les ultra-libéraux sur la bonne foi du ministre en perspective. Les garanties étaient dès ce moment égales de part et d’autre ; cette combinaison, exclusivement doctrinaire, où les habiles du parti catholique voyaient l’anéantissement prochain de la coalition, en devenait l’expression vivante. Ce n’était malheureusement pas tout : se doutant bien qu’un ministère qui se proclamait solidaire des ultra-libéraux ne désarmerait pas les antipathies boudeuses du sénat, et ne voulant pas exposer le futur cabinet aux chances d’une chute qui eût fait douter du parti libéral, M. Rogier posait trois cas de dissolution jusqu’aux élections de 1847.

On devine l’accueil fait par le roi à ce programme, qui transformait en perspective certaine ce qu’il redoutait le plus. La petite cour ultra-montaine du château de Laecken exploita l’incident, se récriant bien haut contre l’intolérance de « ces prétendus libéraux qui menaçaient l’indépendance des chambres, qui voulaient s’emparer de la situation par un coup d’état, » et le roi, ne demandant pas mieux que d’être convaincu, recomposa, avec l’élément catholique de l’ancien cabinet, une nouvelle administration où M. de Theux, chef de la réaction cléricale, remplaçait, avec M. de Bavay, les deux libéraux démissionnaires, MM. Van de Weyer et d’Hoffschmidt.

Là était véritablement le coup d’état. Qu’il faille user avec une grande réserve de l’expédient extrême des dissolutions, personne ne le conteste ; mais le roi avait suffisamment déféré à ce scrupule, en chargeant, dès le début de la crise, M. Van de Weyer de reconstituer un cabinet mixte. Ce projet échouant devant l’inexplicable obstination des catholiques, la dissolution, qui rentre après tout dans les prérogatives constitutionnelles de la couronne, était, on l’avouera, un pis-aller moins compromettant et plus légal que cette imprudente intronisation d’un parti dont le programme avoué était désormais un cri de guerre contre les institutions. Un ministère exclusivement catholique, succédant d’emblée et sans interrègne à la dernière administration, se fût compris encore ; on eût vu à la rigueur dans ce recours suprême à la majorité de fait la continuation de ce système de neutralité qui, depuis 1831, avait abandonné chaque parti, chaque chose à sa propre impulsion, sans rien hâter ni ralentir, et qui, logique jusqu’au bout, laissait tous les frais de la crise actuelle à la charge des hommes qui, à tort ou à raison, l’avaient provoquée, des libéraux, sauf pour ceux-ci à prendre leur revanche en 1847, terme normal de leur rôle de minorité. Fort de son homogénéité, n’ayant personne à ménager dans le camp ennemi, le nouveau ministère eût mis aux oubliettes la loi de l’enseignement, sans s’inquiéter des engagemens de M. Van de Weyer. L’agitation serait tombée d’elle-même. Malheureusement six semaines d’incertitudes, en donnant aux exigences secrètes des ultra-catholiques le