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Je me souviens, encore de l’émotion que j’éprouvai en lisant dans une gazette de village le récit d’une assemblée des Amis protestans tenue sous la présidence d’Uhlich à Eisleben, la patrie de Luther. Voici cette charmante description toute pleine d’une poésie qui s’ignore : « Nous sortîmes de la ville avant midi ; nous étions au moins six cents. Il fallut rester en plein air, le beau temps nous favorisait, quelle meilleure place les amis auraient-ils pu choisir pour y converser ? ils aspirent à la lumière, comme on le dit d’eux par une moquerie dont ils ne se fâchent point, et le matin leur versait sa lumière si douce. Ils tiennent le monde entier pour l’école de tout esprit qui pense, et le large aspect du monde s’ouvrait librement devant eux. Ils suivent cette impulsion frémissante de leur temps vers la connaissance et le progrès, et partout à leurs côtés frémissait la nature, poussant et développant le germe des choses pendant qu’un vent rapide baignait leur front de ses vives haleines. Nous restâmes donc là sur la terrasse. Le feuillage alors récent des chênes nous faisait un toit magnifique ; au-dessus encore le ciel bleu, à nos pieds la ville d’Eisleben, puis au-delà le regard s’étendait sur l’immensité des plaines et des montagnes. Enfin arriva le pieux orateur. Sa première parole, et vis-à-vis de ce ravissant spectacle pouvait-il en trouver une autre ? sa première parole fut celle-ci : « Pénétrés comme nous le sommes de la présence du Père éternel que tous nous sentons, ne voulons-nous pas soulager notre ame avec des chants ? » Et l’on chanta : « O Créateur, lorsque je contemple à genoux ta puissance, la sagesse de tes voies, ton amour qui veille sur tout, je ne sais plus, dans mon admiration, comment m’élever jusqu’à toi ! mon Dieu, mon Seigneur et mon père ! » Cette noble et grave exaltation vaut-elle donc moins que la crédulité des pèlerins de Trèves ? De quel côté la piété féconde ? De quel côté la grandeur ? Où sent-on le mieux l’approche divine, le souffle d’en haut ?

Or, qui ne se rappellerait ici la foi de Jean-Jacques ? N’est-ce pas cette simple et forte éloquence du vicaire savoyard, et, par une heureuse rencontre, n’est-ce pas le début même de son discours, mis pour ainsi dire en action ? n’est-ce pas toujours la magnificence de la nature qui sert de texte à ces religieux entretiens ? Il n’y a qu’une différence, et je la note pour résumer ma pensée, comme elle résume tout ce progrès auquel je crois. — Le pauvre vicaire n’avait qu’un auditeur, encore était-il de rencontre, et lui-même n’eût point ainsi prêché devant ses ouailles ; le pasteur Uhlich haranguait sur ce ton-là tous ses paroissiens, et la profession de foi leur plaisait en sermon.


ALEXANDRE THOMAS.