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avec l’esprit séculier de qui procèdent ces nouvelles aspirations relieuses, et, preuve singulière du renversement de toutes les situations, il semble aujourd’hui que les consciences soient plus gênées sous la tutelle de l’église qu’elles ne le furent sous la tutelle de l’état. Aussi, de même que les consistoires ont échappe à la Regierung, les fidèles veulent se soustraire aux consistoires en organisant les presbytères, et, conservant le principe de la séparation de l’église et de l’état, ils sollicitent comme une garantie de plus la participation du peuple à l’église.

Entretenir l’activité de la pensée religieuse en lui ouvrant une place au sein de la vie communale, l’empêcher de se fractionner à l’infini en la reliant partout avec elle-même, grace à des synodes libres et réguliers, appeler toujours à côté du sacerdoce l’intervention sérieuse de l’ordre laïque, c’est la le problème que poursuivent les intelligences les plus distinguées comme les plus humbles. Le roi Frédéric-Guillaume ne savait pas trop s’il n’était point le complice du magistrat de Berlin qu’il réprimandait pour avoir imploré cette grande réforme ecclésiastique. M. Bunsen venait de faire un livre qu’il avait intitulé la Constitution de l’Église de l’avenir, et ses espérances ; s’y traduisaient par des projets encore plus précis que ceux de M. Ullmann. Tout le monde, en est là maintenant sur la terre allemande, et, pendant qu’on se relâche de la sévérité dogmatique des formules et des confessions, on resserre d’autant les liens moraux qui peuvent remplacer, les obligations littérales : on élargit le champ de la doctrine, pour s’y mieux entendre sans se gêner par les textes ; on organise à tous les degrés l’association religieuse pour se rencontrer de plus près dans l’adoration commune des mêmes vérités raisonnables. Cet effort intelligent me frappait encore plus en Prusse qu’en Saxe, et j’y reconnaissais tout particulièrement la sagesse berlinoise.

L’église même de Berlin, par l’organe de ses membres les plus relevés, s’était alors prononcée dans ce sens-là. Quatre-vingt-six personnes, professeurs, prédicateurs, ou conseillers de consistoire, quatre-vingt-six personnes, de distinction avec deux évêques en tête[1] avaient signé, le 15 août, une déclaration faite pour réparer le mauvais succès de la déclaration des Amis protestans ; ils dénonçaient comme eux et comme le magistrat ce certain parti qui troublait la paix et la liberté, ils demandaient aussi une constitution ecclésiastique ; enfin ils professaient pour tout symbole cette opinion que le magistrat allait répéter après eux : « Jésus-Christ, le même hier, aujourd’hui et dans l’éternité, est le seul fondement de notre béatitude, et tout l’enseignement religieux doit partir du Christ pour aboutir au Christ (von Christus aus zu Christus hin). » La maxime était large, et bien des convictions y pouvaient

  1. C’est le titre que prennent les surintendans de l’église évangélique en Prusse.