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leurs ressentimens, la conscience trop claire d’une position tout exceptionnelle, pour se soucier beaucoup de ces agréables moqueries. Vinrent ensuite, dans la bouche royale, des récriminations qui ne pouvaient guère peser davantage. – Le magistrat s’occupait fort de questions religieuses et il négligeait de veiller aux soins matériels du culte ; il flétrissait du nom de parti des croyans paisibles dont tout le tort était de s’attacher avec trop de zèle aux devoirs qu’ils avaient juré d’accomplir, et il ne disait rien des Amis protestans, cette véritable faction qui provoquait partout le tumulte, dans les ames et dans la rue, en sortant tout ensemble de la foi et de la légatlité. – autant eût valu accuser une armée en marche de ne point tirer sur son avant-garde. Le magistrat de Berlin se justifia, dans une seconde adresse, des reproches qu’il avait dû subir. La censure arrêta quelque temps l’apparition de cette pièce nouvelle ; mais elle ne put empêcher qu’une procession populaire ne reconduisît en pompe, jusqu’à leur maison, les fermes représentans de la cité. Le roi avait cru les battre en causant, telle était la gravité des préoccupations publiques, que, personne pourtant n’imaginait qu’il pût y avoir de ridicule à les exprimer.

Ce qui fit surtout dans Berlin le grand succès de cette démonstration, et qu’elle répondait à un double besoin, c’est qu’elle flattait une double espérance. La disposition commune des esprits, leur vœu le plus général, c’était d’échapper aux idées extrêmes de tous les dogmatiques ; c’était ensuite d’ouvrir une issue pratique aux idées raisonnables par une constitution nouvelle de l’église. Pour se représenter cette situation, pour comprendre le milieu moral où la majorité s’efforçait de tenir ; il faut se figurer, en face des piétistes, leurs plus déterminés opposans. Si d’un côté travaillait ce parti évangélique, avec lequel on sentait arriver l’abêtissement d’un despotisme doucereux, de l’autre grondait une faction plus effrayante encore pour les ames honnêtes, la faction philosophique des athées. Ceux-ci portaient leur drapeau tout au moins aussi haut que les piétistes, et depuis long-temps, soit à la suite, soit au-delà de Feuerbach, ils faisaient oublier leur petit nombre à force de clameurs. Bizarre contradiction et qui peint bien encore le génie d’un peuple jusque dans les exagérations individuelles ! L’athéisme compte presque en Allemagne pour une religion, et les Allemands, en s’appropriant nos vieilles folies de la fin du XVIIIe siècle, n’y ont rien ajouté, si ce n’est un air grave et solennel. Je trouvais partout, dans la société berlinoise, l’horreur de ce nihilisme absolu, et c’était en haine d’une métaphysique insensée que le magistrat s’était si vivement écrié : « Nous tenons ferme à notre christianisme ! » - Pure inconséquence ! répondaient à la fois et M. Hengstenberg et les athées, il faut être, ou tout avec nous, ou tout avec eux ! Comme la vie de l’esprit n’était pas un chef-d’œuvre continuel d’inconséquences heureuses, comme si toutes les inconséquences