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la Diane et la Justice, parviennent seuls à échapper au désastre le plus complet qui ait jamais affligé notre marine.

Sur les 13 vaisseaux et les 4 frégates que Nelon avait combattus dans la baie d’Aboukir, 9 vaisseaux tombèrent en son pouvoir[1]. L’orient sauta pendant l’action ; le Timoléon et la frégate l’Artémise, après s’être échoués, furent brûlés par leurs équipages, et la Sérieuse, peu digne par son artillerie, si elle l’était par son courage, de la colère d’un vaisseau de ligne, fut coulée par l’Orion, qui eût pu dédaigner un pareil adversaire. 11 vaisseaux et 2 frégates capturés ou détruits étaient pour les Anglais le prix de ce combat acharné, mais leurs vaisseaux dégréés ne purent s’opposer au départ de Villeneuve. Le Guillaume-Tell, la Diane et la Justice allèrent se réfugier à Malte. Le Généreux, après avoir enlevé sous Candie le vaisseau de 50 le Leander, qui portait en Angleterre la nouvelle de la victoire d’Aboukir, parvint à gagner la rade de Corfou.

Telle fut l’issue d’un combat dont les conséquences, furent incalculables. Notre marine ne se releva jamais de ce coup terrible porté à sa considération et à sa puissance. Ce fut ce combat quin pendant deux ans, livra la Méditerranée aux Anglais et y appela les escadres de la Russie, qui enferma notre armée au milieu d’un peuple soulevé, et décida la Porte à se déclarer contre nous, qui mit l’Inde à l’abri de nos entreprises et la France à deux doigts de sa perte, car il ralluma la guerre à peine éteinte avec l’Autriche, et porta Suwarow et les Austro-Russes jusque sur nos frontières. Dans cette nuit funèbre où l’escadre anglaise coupait sur tant de points notre ligne de bataille et brisait, à coups redoublés les anneaux isolés de cette forte chaîne, quelle fatalité retenait donc à l’arrière-garde les vaisseaux de Villeneuve, demeurés pendant si long-temps spectateurs impassibles d’un engagement inégal, possesseurs indifférens de la seule chance qui pût nous donner la victoire ? Ces vaisseaux étaient sous le vent de ceux qui combattaient ; mais ; à moins d’un calme plat, ce qui ne se présenta point, ils eussent facilement refoulé le faible courant qui règne sur cette côte et gagné dans une seule bordée un poste plus convenable pour des gens de cœur. De la tête à la queue de la ligne, la distance n’excédait guère un mille et demi et, pour prendre part à l’action,

  1. De ces 9 vaisseaux, 6 seulement quittèrent, le 14 août, la baie d’Aboukir, sous la conduite de sir James Saumarez, chargé de les escorter avec 7 vaisseaux anglais. Arrivé à Gibraltar, sir James Saumarez fut obligé de laisser dans ce port le Peuple-Souverain, qui avait failli sombrer pendant la traversée, et parvint, non sans peine, à conduire à Plymouth le Franklin et le Tonnant de 80 ; le Spartiate, l’Aquilon et le Conquérant de 74. Le Conquérant et le Peuple-Souverain étaient de très vieux vaisseaux à peine en état de tenir la mer ; mais, suivant Nelson, ils avaient moins souffert dans le combat que les autres vaisseaux capturés, à travers lesquels, écrivait l’amiral anglais, on eût pu faire passer un carrosse à quatre chevaux.