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par les ennemis qui la pressent de toutes parts, notre avant-garde a ralenti son feu et semble à demi réduite ; mais, malgré l’arrivée du Defence et du Majestic, l’avantage est encore de notre côté cette partie de la ligne où combattent l’Orient, le Tonnant et le Franklin. la de rapides volées d’artillerie, indiquent un combat acharné. Cependant l’obscurité est déjà complète, et les ténèbres de la nuit enveloppent les deux armées. Le Culloden, que commande Troubridge, s’est jeté sur les hauts-fonds de l’île d’Aboukir, et l’action est engagée depuis plus de deux heures avant que le Leander, le Swiftsure et l’Alexander aient pu y prendre part. Ils apparaissent enfin sur le champ de bataille[1]. Le Culloden échoué leur a servi de phare, et la leur sinistre de la canonnade les dirige vers l’escadre française. Tous trois portent leurs efforts sur ce groupe formidable qui, après avoir démâté le Bellerophon, continue à répondre avec une supériorité incontestable au feu du Defence et du Majestic. Brueys, qui eût mérité de vaincre en ce jour ; si la victoire appartenait au plus intrépide, Brueys soutient sans s’emouvoir ce terrible assaut. Déjà atteint d’une double blessure il a refuse de quitter le pont, et un nouveau boulet lui épargne la douleur d’être témoin des malheurs qui se préparent.

C’est alors, en effet, qu’un effroyable incendie se déclare à bord de l’Orient. Le feu a pris dans les porte-haubans d’artimon et a bientôt envahi le gréement ; il se propage d’un mât à l’autre avec une rapidité que rien ne peut maîtriser. A dix heures du soir, une explosion, qui ébranle les navires environnans et les couvre de débris enflammés, annonce aux deux armées que l’Orient vient de s’engloutir. Il disparaît, entraînant avec lui dans le gouffre ses blessés, la plus grande partie de son équipage héroïque et la fortune de la journée. Un nuage épais de fumée et de cendre marque encore la place où le colosse a combattu. Sous l’émotion de cette lugubre scène ; la canonnade est restée suspendue pendant près d’un quart d’heure ; elle recommence alors avec plus d’énergie, et c’est le Franklin qui en donne le signal. Inutile héroïsme, stérile sacrifice ! le destin, s’est déjà prononcé contre nous. Il n’est qu’une manœuvre qui pourrait sauver l’armée française, ce serait celle qui amènerait au feu les vaisseaux, négligés par l’ennemi : « Pendant : quatre mortelles heures, l’arrière-garde n’a vu de ce combat que le feu et la fumée de nos adversaires et des deux premières escadres qui, étaient assaillies[2], » et cependant cette arrière-garde, reste immobile. Le Timoléon seul, hissant ses huniers, semble provoquer un ordre d’appareillage que, dans l’horreur de cette nuit funeste, personne ne

  1. Vers huit heures un quart suivant le rapport du contre-amiral Blanquet-Duchayla.
  2. Journal particulier du contre-amiral Decrès adressé au vice-amiral Bruix, ministre de la marine,