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de voiles, restèrent en travers au vent. Nelson espérait pouvoir se réfugier avant la nuit dans la baie d’Oristan, mais l’état où se trouvait son vaisseau l’empêcha de gagner ce mouillage. Le calme le surprit à quelque distance de la côte, et le Vanguard, que l’Alexander, commandé par le capitaine Ball, avait pris à la remorque, poussé à terre par une houle énorme, fut à la veille d’être jeté sur la petite île de San-Pietro, qui forme vers le sud-ouest l’extrémité de la Sardaigne. La nuit se passa dans ces inquiétudes. Déjà, malgré l’obscurité, on croyait distinguer sur la plage l’éclat sinistre des brisans, quand un de ces souffles insaisissables qui sauvent parfois les navires permit à l’Alexander d’entraîner le vaisseau-amiral loin de ce rivage dangereux et d’atteindre la rade de San-Pietro, où l’escadre anglaise, réduite à trois vaisseaux, mouilla le 22 mai 1798.

Le 19 au matin, le jour même où Nelson avait été porté au large par le coup de vent dont il ne devait ressentir que le lendemain toute la violence, la flotte française, composée de 72 navires de guerre, quittait la rade de.Toulon. Le vice-amiral Brueys la commandait, et avait près de lui le contre-amiral Gantheaume, major-général de l’escadre. Il avait arboré son pavillon à bord du vaisseau à trois ponts l’Orient, et se tenait au centre du corps de bataille, où figuraient aussi les vaisseaux le Tonnant, l’Heureux et le Mercure. Trois contre-amiraux commandaient les autres divisions de la flotte ; Blanquet-Duchayla dirigeait l’avant-garde, composée des vaisseaux le Guerrier, le Conquérant, le Spartiate, le Peuple-Souverain, l’Aquilon et le Franklin ; Villeneuve était à l’arrière-garde avec le Guillaume-Tell, le Généreux et le Timoléon ; Decrès conduisait l’escadre légère. Serrant de près la côte de Provence, cette flotte s’arrêta devant Gênes pour y rallier une division de transports. Descendant alors vers la Corse, elle en reconnut l’extrémité septentrionale au moment où Nelson mouillait dans la baie de San-Pietro, et jusqu’au 30 mai elle resta en vue de cette île. Elle prolongeait sous petites voiles, la côte de Sardaigne dans l’espoir d’être rejointe par le convoi qui avait dû quitter Cività-Vecchia le 28, quand Bonaparte apprit que trois vaisseaux anglais avaient été aperçus près de Cagliari. Une division de 4 vaisseaux français fut expédiée dans cette direction ; mais, n’ayant pu obtenir aucun nouvel indice de la présence de l’ennemi dans ces parages, cette division rallia le gros de la flotte, et, après avoir attendu en vain, pendant plusieurs jours le convoi de Cività-Vecchia, Bonaparte se décida à continuer sa route. Le 7 juin, l’armée française passait à ’portée de canon du port de Mazara en Sicile ; le 9, elle reconnaissait les îles de Goze et de Malte, et, trois jours après, le pavillon de la république avait remplacé sur ces îles le pavillon des chevaliers, de Saint-Jean de Jérusalem.

Pendant que Bonaparte, confiant dans sa fortune, marchait avec cette