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n’avait pas encore paru, et le bruit se répandait qu’informé de la présence des croisières anglaises, il s’était arrêté à Santa-Cruz de Ténériffe. Nelson et Troubridge conçurent aussitôt la pensée d’aller enlever dans le port le vice-roi et ses fabuleuses richesses. Déjà, en 1657, le célèbre amiral Blake avait réussi dans une semblable expédition, et ce souvenir avait de quoi tenter l’audace de Nelson. Ses instances triomphèrent des derniers scrupules du comte de Saint-Vincent, et, le 15 juillet 1797, il quitta la flotte avec une division composée de quatre vaisseaux de ligne et de trois frégates.

L’île de Ténériffe : est de, facile défense ; comme les autres îles du groupe auquel elle appartient, elle semble le produit d’une éruption volcanique et présente ces pics abrupts, ces côtes escarpées, ces rochers et ces précipices, qui distinguent les terrains d’origine plutonienne. La baie même de Santa-Cruz n’est qu’un assez mauvais mouillage ; car, à moins d’un demi-mille de terre, on trouve déjà près de quarante brasses de fond. Le rivage, bordé de roches détachées et arrondies par l’action incessante de la vague, sans abri contre la houle de l’Atlantique qui vient se briser en écumant sur la plage, n’offre aucun point de débarquement où les canots ne soient en danger. Un courant rapide, des vents variables et souvent impétueux, rendent en outre les approches de l’île difficiles et contribuent à la protéger contre une surprise. Nelson avait prévu ces obstacles, mais il en eût fallu de plus grands pour le faire reculer.

Cependant l’intérêt que semblait offrir cette tentative périlleuse était déjà bien diminué, puisqu’on avait appris qu’au lieu des trésors du Mexique, il n’y avait dans le port de Santa-Cruz qu’un bâtiment de Manille richement chargé, il est vrai, mais dont la capture ne pouvait être mise en balance des risques que l’on allait courir pour s’en emparer. Si, comme on le présumait, le numéraire et les lingots faisant partie de la cargaison de ce navire avaient été transportés dans la ville, il fallait opérer une descente sur l’île, et sommer une nombreuse garnison, protégée par de bonnes murailles, de consentir à la honte de livrer sans combat cet argent et ce navire pour sa rançon. Réduite à ces proportions, cette expédition semblait faite, il faut bien l’avouer, pour exciter la cupidité de quelque chef de boucaniers plutôt que l’ambition d’un amiral déjà illustré par de glorieux faits d’armes. D’ailleurs jamais entreprise, il est facile de le comprendre, ne fut plus téméraire et n’offrit moins de chances de succès. Cependant Nelson, qui allait bientôt faire preuve de l’obstination la plus aveugle, déploya dans les préparatifs de ce coup de main désespéré toutes les ressources de ce génie actif et fécond qui a si souvent justifié ses témérités.

Les embarcations de l’escadre furent partagées en six divisions et il leur fut prescrit de se donner mutuellement la remorque. Chaque division