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meilleur avis dans un moment plus opportun. » Cet homme héroïque sentait qu’entre lui et ses officiers le dévouement devait être réciproque, et, en toute occasion, on le vit défendre leurs intérêts avec cette ardeur qu’ils mettaient à servir sa gloire.

À ce zèle honorable Nelson joignait cette simplicité de manières qui, chez-les hommes supérieurs, est une séduction de plus. Il craignit peu d’exposer sa dignité en se montrant communicatif avec les gens qui l’entouraient, et dont il acceptait volontiers la supériorité dans quelques uns de ces mille détails dont se complique le métier de la mer. Il rendait ainsi justice à ces mérites spéciaux, et savait provoquer (Decrès lui accordait cette qualité éminente) des conseils d’où jaillissaient souvent pour lui, des lumières, inattendues. Il pensait, du reste, que cette participation de chacun au plan définitif devait en assurer l’exécution et en faciliter l’intelligence ; car, persuadé qu’il ne doit y avoir rien d’absolu dans un plan d’opérations arrêté à l’avance, il exigeait moins un respect trop scrupuleux de ses ordres qu’un concours, loyal et empressé. Cependant il appréciait, autant que lord Jervis lui-même, la nécessite de la soumission la plus passive à bord d’un navire de guerre, et nous avons dit déjà que c’était à l’indiscipline de nos équipages qu’il avait attribué la décadence de notre marine ; mais il était d’avis qu’il vaut mieux prévenir les délits que d’avoir, à les réprimer. Quand Jervis, devant Cadix, étouffa par une répression énergique les complots près d’éclater, Nelson approuva sans hésiter ces rigueurs nécessaires. « L’état des esprits, dit-il, exige des mesures extraordinaires, et, si l’on eût montré en Angleterre la même résolution que nous avons montrée ici, je ne crois pas que le mal eût jamais été aussi loin. » - Cependant, ajoutait-il aussitôt, je suis tout-à-fait du parti de nos marins dans les premières réclamations. Lord Howe a eu grand tort de ne point leur accorder l’attention qu’elles méritaient. Nous sommes, en vérité, gens dont on se soucie trop peu. Une fois la paix venue, c’est à qui nous traitera le plus indignement. »

Aux yeux de Nelson, le premier devoir d’un amiral était de s’occuper sans cesse du bien-être matériel et moral des hommes dont la conduite lui était confiée. La veille de Trafalgar, il songeait à assurer l’exacte distribution, sur tous les bâtimens de la flotte, des légumes venus de Gibraltar, et recommandait l’installation d’un théâtre à bord de chaque vaisseau ; car ce qu’il craignait le plus pour les matelots anglais, c’étaient la monotonie des longs blocus et les dangereuses tentations de l’oisiveté. Aussi l’activité était-elle chez lui un calcul presque autant qu’un besoin de sa nature, un moyen de succès dans les grandes circonstances, un moyen de discipline dans les temps ordinaires. Il voulait que ses équipages fussent sans cesse tenus en haleine par des coups de main audacieux, par des manœuvres périlleuses, parce qu’il comptait