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en dépit des idées reçues, à lui appliquer ces paroles dont Jervis s’est servi pour tracer le portrait du vainqueur de Camperdown[1] : « C’était un vaillant officier, peu versé. Dans les subtilités de la tactique, et : qui s’y fût bien vite embarrassé. Quand il aperçut l’ennemi, il court à lui, sans songer à former tel ou tel ordre de bataille. Pour vaincre, il compta sur le brave exemple qu’il allait donner à ses capitaines, et l’événement répondit complètement à son espoir. »

Cette stratégie excentrique, on le comprendra facilement, eût trouvé la discipline de Jervis insuffisante. Il fallait ajouter à cette discipline un élément nouveau : la passion dans l’obéissance. « J’avais le bonheur, milord, écrivait Nelson à lord Howe après le combat d’Aboukir, de commander une armée de frères. Un combat de nuit était donc entièrement à mon avantage. Chacun de nous savait ce qu’il avait à faire, et j’étais certain que tous mes vaisseaux chercheraient dans la mêlée un vaisseau français. » Une pareille confiance simplifie singulièrement les situations et peut bien justifier quelques imprudences. Si cette confiance ne fut jamais trahie, si, de tous les amiraux anglais, Nelson fut le mieux servi par ses capitaines ; il n’eut pas (insistons sur ce point) à en remercier la fortune : il ne dut cet avantage qu’à lui-même, à cette obéissance intime qu’on demande souvent en vain à des règlemens inflexibles, et qu’il sut obtenir d’un dévouement spontané et volontaire. C’est ainsi que son audace et son ardeur devinrent contagieuses, c’est ainsi que, dans ces escadres dévouées à de si rudes croisières, à de si pénibles campagnes, on vit toujours (ce qu’on n’eût point trouvé peut-être dans la flotte de Jervis) des visages satisfaits, des fronts épanouis, et cette apparence de bien-être qui réjouit le cœur d’un chef.

Le succès obtenu, Nelson en rapportait généreusement l’honneur à ses capitaines. Toujours prêt à reconnaître un service rendu au feu, il faisait appeler à Aboukir le commandant du Minotaur, pour le remercier de son assistance pendant l’action. Dans une autre affaire moins éclatante, n’étant encore que capitaine de l’Agamemnon, il avait renvoyé à son premier lieutenant les éloges que lui attirait la belle conduite de son vaisseau ; « car jamais : officier, écrivait-il, n’a ouvert un

  1. Le combat de Camperdown, dans lequel l’amiral Duncan, alors âgé de soixante-six ans, battit le 11 octobre 1797, la flotte hollandaise commandée par l’amiral de Winter, est en effet le premier exemple de ces affreuses mêlées qui allaient succéder aux batailles rangées de la guerre d’Amérique. Ce fut une sanglante journée. 1,040 hommes furent mis horse de combat à bord de la flotte anglaise, 1,160 à bord de la flotte hollandaise, 16 vaisseaux anglais étaient sortis de la rade de Yarmouth, 15 vaisseaux hollandais de la rade du Texel. Les deux flottes se rencontrèrent devant Camperdown, entre le Texel et Rotterdam. Une partie des vaisseaux, hollandais lâcha pied. Les autres, exercés à un tir plus meurtrier que celui de nos vaisseaux, tir qui s adressait à la coque et non à la mâture de l’ennemi firent chèrement payer à la flotte anglaise la capture de 9 vaisseaux et de 2 frégates.