Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/782

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

accablé les Juifs d’anathèmes et de supplices ? C’est cependant à cette même époque, surtout au XIIe siècle, que les hommes les plus savans de l’Europe étaient des Juifs : en effet, les rabbins réunissaient à l’étude approfondie de l’hébreu et d’autres idiomes de l’Orient non-seulement la connaissance de la philosophie et des livres d’Aristote qu’ils devaient aux Arabes, mais encore l’astronomie et la médecine. Maymonides, disciple de l’Arabe Averroès, commentait avec génie les Écritures, le Talmud, Aristote et Platon ; Aben-Ezra se montrait poète et philologue ; Isaac Ben-Sid se faisait un nom dans l’astronomie. La littérature rabbinique pendant le moyen-âge honore l’esprit humain, et elle a adressé à l’intelligence des chrétiens d’utiles provocations.

Enfin le jour arriva où les monumens primitifs de l’hébraïsme furent savamment interrogés par les chrétiens eux-mêmes, et comme soumis à un contrôle nouveau. À côté de la foi se plaça la critique, qui, dans l’insurrection religieuse du XVIe siècle, se produit à la fois comme cause et comme conséquence. Ce serait un beau livre à faire que l’histoire de la critique appliquée aux Écritures depuis Reuchlin jusqu’à Strauss ; que de degrés, que de nuances soit dans le respect des savans, soit dans leur audace ! Ici les chrétiens reprennent l’avantage sur les docteurs de la synagogue : ils ne sont pas moins érudits, et ils ont l’esprit plus libre.

Outre l’érudition, il y a eu depuis deux siècles des philosophes et des penseurs qui ont voué à l’hébraïsme l’attention la plus sérieuse, il y a des poètes. qui n’ont pas moins puisé aux sources des Écritures que dans Homère et Sophocle. Au milieu du XVIIe siècle, la synagogue eût la douleur de voir se séparer d’elle un jeune homme sur lequel à bon droit elle établissait les plus hautes espérances, c’était Benoît Spinoza, dont l’orthodoxie judaïque, dans laquelle on voulait l’enlacer, entravait le génie. Par la manière dont Spinoza fit, pour ainsi parler, l’inventaire critique de l’héritage de Moise, il blessa ses coreligionnaires au vif. Les Juifs en effet tenaient pour incontestable que tout dans la loi est également saint. C’est l’esprit de leur théologie, de la littérature rabbinique, de révérer avec la même superstition toutes les formes extérieures que leur culte a revêtues, et d’approfondir jusqu’aux détails les plus minutieux, comme le nombre des mots et des lettres. Or, Spinoza soutint dans ses écrits que le caractère de la loi qui fut révélée directement à Moïse est d’être universelle et tout-à-fait indépendante des cérémonies extérieures. La loi est donc divine et humaine : divine, elle se propose la connaissance et l’amour de Dieu ; humaine, elle règle les intérêt des sociétés ; c’est le domaine des institutions et des formes politiques. Spinoza posa donc en principe que les lois et les cérémonies de la république hébraïque n’appartenaient pas à l’ordre divin, et n’avaient pas plus d’autorité que les histoires des autres peuples. Cette distinction