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La comédie de Mme de Casa-Major est parfaitement jouée, il n’y a qu’un avis sur ce point. Il n’est pas à ma connaissance qu’une seule protestation, même de la part des adversaires systématiques, ait troublé le triomphe des acteurs. La Comédie-Française, quoi qu’on en puisse dire, ne fait jamais défaut aux écrivains heureusement inspirés. Les ouvrages distingués, ceux surtout qui permettent aux acteurs de concevoir et de dessiner des caractères de notre temps, sont toujours joués avec un aplomb, une sûreté d’exécution, qui se font sentir dans les moindres détails. Ce genre de supériorité est si bien apprécié par le public, qu’on ne saurait plus parler de l’ensemble qui règne sur la scène française, sans retomber dans des phrases devenues proverbiales Mme Volnys devra au rôle d’Emerance un de ces rares succès qui font date dans la carrière d’un artiste. L’intéressante figure de cette jeune femme, pure et enchaînée par une faute, exigeait une grande variété d’accens. Il fallait des nuances pour peindre l’angoisse du nœud fatal, l’amour grave et sincère voué au mari, le retentissement confus de la passion auprès de l’homme qui n’est plus aimé, mais qui est encore redoutable parce qu’il aime toujours, les soudaines défaillances à la voix du dominateur, les retours de fierté et d’indignation, et puis, quand tout est découvert, l’accablement mortel sous la parole foudroyante du juge ; la surprise, l’extase du bonheur, quand le juge redevient époux et pardonne. Je ne dirai pas que Mme Volnys ait trouvé et fondu toutes ces nuances : un rôle de cette importance ne saurait être créé du premier jet. On peut lui reprocher de ne pas assez se contenir sous les regards des personnes pour qui sa faute doit rester secrète. Son accablement est si marqué devant les étrangers, il y a tant d’émotion dans sa voix et sa contenance, qu’on est autorisé à la croire plus coupable qu’elle ne l’est en effet. Je voudrais aussi qu’en présence de Mauléon, elle fit quelque peu sentir que cet homme a été aimé, et qu’il est encore à craindre, non-seulement à cause de la lettre conservée, mais parce qu’elle lui reconnaît une certaine puissance de fascination. Mauléon deviendrait ainsi moins odieux, et Emerance plus vraisemblable. Au surplus, Mme Volnys a pu voir, par les applaudissemens continuels qu’elle a reçus, que le public sait apprécier en elle une nature généreuse et vaillante, qui se prodigue pour tous ses rôles, et qui, même lorsqu’elle n’est pas irréprochable, laisse la conviction qu’aucune autre actrice de son emploi n’eût pu faire aussi bien qu’elle.

Mlle Mante a donné une bonne physionomie à la marquise ; elle excelle à lancer le trait comique, sans rien ôter au personnage de sa distinction. Mlle Anaïs se sent aimée du public, on le voit à son aisance à tenir la scène, à commander l’attention, à préparer le mot pour en augmenter la portée. A force de gentillesse et d’esprit, elle a donné de l’importance à un rôle qui s’annonce d’une manière séduisante, et qui est trop tôt abandonné. Saint-Pons, un cousin d’Emerance, sur qui Mauléon concentre adroitement les soupçons de la vieille marquise, est le bon enfant de la bonne société. Cordial et sympathique, aimable sans être romanesque, brave et résolu sans se poser en chevalier, il plaît précisément parce qu’il n’est point affublé de l’uniforme vulgaire des amoureux de théâtre. Une fille intelligente et positive, comme Henriette doit entrevoir dans Saint-Pons l’étoffe d’un excellent mari ; aussi n’est-on pas surpris qu’elle le préfère au brillant Mauléon. Tous les acteurs éprouvent de temps en temps le désir de sortir de leur emploi. Talma soupira dix ans après un rôle de comédie, et Préville s’est plus d’une fois lancé dans le drame. Ces tentatives sont toujours périlleuses : la