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le courage d’assurer à ces infortunés qu’il faut qu’on leur apporte le vivre jusque chez eux, et qu’un parlement irlandais aurait déjà partout institué des entrepôts publics pour y vendre le pain à bas prix. Aussi a-t-on observé que l’émigration ordinaire des ouvriers irlandais en Écosse s’était tout d’un coup ralentie, et les droits sur les boissons ont, dans ces derniers temps produit plus que jamais. Les petits fermiers n’ont plus à fournir ni salaires aux journaliers, ni rentes aux propriétaires, et tous peut-être ne sont pas si fort à l’étroit, puisque, d’après des comptes établis jusqu’au 10 octobre de cette année, les caisses d’épargne ont reçu plus qu’elles n’ont rendu. Clare et Limerik sont les pays où l’on souffre davantage de la famine ; la caisse de Clare n’a remboursé que 300 livres contre 7,100 livres de nouveaux dépôts ; celle de Limerik, 3,300 contre 18,200. Les propriétaires enfin, profitant sans scrupule des avances du trésor pour améliorer leur fonds, s’en remettent presque tous à lui du soin d’approvisionner immédiatement leurs tenanciers ; pendant que le gouvernement fait venir à grands frais des denrées sur les marchés d’lrlande les landlord irlandais envoient leurs produits en Angleterre pour en tirer meilleur prix : 16 vaisseaux arrivaient l’autre jour à Liverpool tout chargés de denrées irlandaises. L’Angleterre a sans doute assez de torts vis-à-vis du kingdom sister pour qu’elle ait aussi des obligations considérables ; mais c’est prendre une triste revanche que de frauder sur ses charités. Lord John Russell l’a donné dernièrement à entendre dans une lettre pleine d’ailleurs de modération et de sens qu’il adressait publiquement au duc de Leinster.

On conçoit que les dissensions intestines des repealers n’aient plus beaucoup d’intérêt pour personne en présence de cette misère qui décemment doit faire baisser la rente du rappel. Disons seulement que la jeune Irlande s’est constituée, et qu’elle a montré plus de tact qu’on ne l’attendait peut-être, en dirigeant ses coups non pas sur M. O’Connel lui-même, mais sur sa dynastie. « M. John O’Connell, s’écrient les orateurs du schisme, aura beau prendre la perruque de son père, il ne sera jamais le vieux Dan, et, si l’Irlande doit beaucoup à celui-ci, M. John doit beaucoup à l’Irlande. » Ce n’est point, en vérité, si mal raisonner, et, dans ce moment de détresse, il y a quelque chance de succès populaire contre ces patriotes qui courent en famille les gros emplois du gouvernement anglais.

Il ne faudrait point cependant que l’Irlande oubliât jamais à qui elle doit cette grande renommée de ses souffrances qui fait sa force ; il est une autre partie du royaume-uni dont les infortunes trop cachées n’ont pas même la consolation d’être plaintes : ce sont les Highlands d’Écosse et les îles avoisinantes ; des lois absurdes ôtent là toute valeur à la terre et déciment la jeunesse par une émigration forcée ; la disette a frappé ces contrées avec la même rigueur que l’Irlande, mais, comme elles ne peuvent créer le même embarras, elles n’obtiennent pas du gouvernement la même attention. Les propriétaires ont du moins su s’entendre pour empêcher le prix du grain de monter ; la charité publique, guidée par le bon sens écossais, a donné aux landlords irlandais un exemple qu’ils sont malheureusement incapables de suivre.

Mentionnons ici, avant de terminer cet aperçu général des affaires anglaises, un livre fort intéressant pour nous qui a paru l’autre mois ; c’est un tableau détaillé des consulats britanniques emprunté directement au Foreign-Office, et reproduisant toutes les instructions officielles qui régissent la diplomatie commerciale