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à trouver dans ces sources trop rarement encore utilisées. Nous tâchons ainsi de recueillir avec quelque fidélité les traits distincts des nationalités diverses jusque sous ces ressemblances forcées qui rapprochent désormais les peuples. Nous nous appliquons surtout à représenter les personnes et les choses en elles-mêmes et pour elles-mêmes, et non pas en haine, non pas en faveur de telle alliance ou de telle opinion, non pas du point de vue exclusif des idées et des prédilections françaises. Telle est, pour nous, la première condition de tout examen sérieux des affaires extérieures.

Le gouvernement anglais semble aujourd’hui s’inquiéter un peu moins des embarras intérieurs qui compliquaient si gravement sa position. Les chambres qui n’avaient été prorogées que jusqu’au 4 novembre, l’ont été de nouveau jusqu’au 12 janvier. Nous ne savons pas si lord Palmerston désirait beaucoup comme on le prétend, ajourner l’exposition publique de ses récens démêlés ; nous pourrions même expliquer cette convocation tardive par un motif plus certain : on craignait à Londres que la situation particulière de la production agricole et industrielle dans le royaume-uni n’eût aliéné déjà les plus essentiels auxiliaires que le cabinet whig compte au sein des communes, les membres irlandais et les free-traders. Assembler le parlement sans être sûr de leur concours, c’était risquer son enjeu, vu le dernier état des partis. Or, M. O’Connell, tout en complimentant de son mieux le lord-lieutenant, ménage beaucoup plus ses caresses à l’endroit du ministère en général ; la session ouverte, il serait peut-être obligé, dans l’intérêt de sa popularité, de porter à Westminster l’un de ces plans impraticables qu’il annonce à ses fidèles de Conciliation-Hall, pour continuer sans trop de péril, au nom des affamés, une agitation qu’il ne peut plus guère mener au nom des repealers en désarroi. Il devient alors malaisé de s’entendre, et Tom Steele, le héraut souvent compromettant du libérateur, a déjà déclaré qu’il se fiait plus à sir Robert Peel qu’aux belles paroles des whigs. D’autre part, l’exportation ne répond pas encore en Angleterre au surcroît d’importations, déterminé par la chute d’un système protecteur, et les demandes de l’étranger ne sont pas venues avec assez d’abondance pour garantir aux manufacturiers l’efficacité de leur victoire : loin de là, ils sont obligés maintenant de ralentir la production qu’ils avaient peut-être exagérée dans l’ardeur de leurs premières espérances, et presque tout le Lancashire réduit d’un commun accord le temps du travail. Quatre jours de travail au lieu de six, c’est une diminution, de 30 à 40 pour 100 sur le salaire de l’ouvrier ; tout le monde s’en ressentira. Tels sont les mécontentemens dont le ministère essaie d’éluder l’explosion en reculant jusqu’à l’année prochaine les discussions parlementaires. On doit dire cependant que lord John Russell n’a consenti à ce délai qu’après avoir été rassuré touchant l’état des subsistances : il n’a point caché que, s’il eût été vraiment indispensable de prendre les mesures d’urgence sollicitées par des alarmistes plus ou moins intéressés, il n’eût pas voulu le faire sans l’assentiment immédiat des chambres ; il lui aurait trop déplu d’avoir encore à leur demander un bill d’indemnité après celui que lord Besborough est déjà tenu de réclamer pour avoir dépassé les clauses légales du labour rale acte. Il ne lui convenait pas d’aller plus loin dans ce qu’il a, dit-on, lui-même appelé « l’administration du despotisme. » Ce scrupule peint l’homme en même temps qu’il honore le ministre.

La mesure d’urgence à laquelle lord John Russell s’est définitivement refusé