Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/745

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prêter le serment du roi André, qui consacrait les privilèges nationaux de la Hongrie, et, pour réaliser l’unité de son empire, il avait brusquement dissous les représentations provinciales et la diète. Enfin, au risque de froisser de respectables susceptibilités, d’honorables traditions, il avait fait enlever de Presbourg et transporter à Vienne la couronne sacrée, antique palladium de la nationalité hongroise Cette héroïque et turbulente noblesse, qui depuis trois cents ans servait de rempart à I’Europe contre l’invasion turque, habituée à l’indépendance aventureuse des frontières et aux tumultueuses agitations de la diète, fut dépouillée tout à coup, et sans aucun dédommagement appréciable pour elle, de ses antiques privilèges, achetés par tant de sacrifices, consacrés partant de victoire et se vit ainsi réduite à la vie calme et passive du bourgeois allemand. Sa fierté se révolta, et peut-être un Ragotsky se fût encore élevé de son sein, si l’empereur n’eût fait appel à sa loyauté et à son courage en annonçant une guerre prochaine et décisive contre la Turquie ; mais la révolte comprimée dans la noblesse éclata avec une violence subite parmi les classes pauvres, qui, dès long-temps façonnées à l’esclavage et en quelque sorte à la misère, n’avaient vu qu’une innovation incommode dans les réformes de l’empereur, et même dans l’abolition de la servitude corporelle. Les paysans étaient pliés dès l’enfance à ce joug héréditaire, et les brusques changemens apportés à leur position, en les arrachant à leur engourdissement, à leur insensibilité brutale, n’éveillaient d’abord en eux qu’une sensation de douleur. La conscription militaire avait répandu dans tout le pays une terreur panique ; le peuple exaspéré courut aux armes. Ce fut une jacquerie aveugle, impitoyable, une soif de sang assouvie à longs traits, guerre aux châteaux et aux villes, incendie, pillage, massacre, viol, tous les excès d’une populace abrutie et dégradée, mais conservant encore l’énergie des natures primitives. Dans les premiers jours de la révolte, deux cent soixante-quatre châteaux furent brûlés, cent vingt gentilshommes égorgés, et seize mille furieux se répandirent dans les campagnes, écrasant sous l’impulsion de leur masse aveugle toutes les forces qu’on leur opposait. L’empereur promit en vain l’amnistie à ceux qui se repentiraient, la révolte devenait tous les jours plus formidable, plus sanguinaire, car elle avait trouvé un chef digne d’elle. Ce fut un certain Nicolas Urz, surnommé Horjah, qui, par la puissance de son caractère, parvint à dominer, à discipliner ces hordes sauvages. Il y avait dans ce paysan l’étoffe d’un grand homme : sa ruse et sa pénétration égalaient son audace ; il grandit avec sa position, ses idées se développèrent avec sa fortune, et il comprit si bien cette guerre de partisans, qu’il put tenir tête, pendant plusieurs mois à trois habiles généraux, tantôt les fatiguant dans d’inutiles poursuites, tantôt les surprenant par de brusques retours, présent partout et partout insaisissable. Le gouvernement autrichien jugea cet homme si dangereux, qu’il eut recours aux négociations, désespérant de le vaincre. Dans un mouvement d’orgueil insensé, Horjah, traitant d’égal à égal avec l’empereur, envoya aux Autrichiens l’ultimatum suivant « La noblesse serait abolie, les gentilshommes abandonneraient leurs biens, qui seraient partagés entre les paysans. Ceux d’entre les gentilshommes qui renonceraient à leur noblesse, et abjureraient le catholicisme pour embrasser la religion grecque, obtiendraient paix et liberté. L’impôt serait également réparti toutes les classes de citoyens. Enfin le peuple magyare devait reconnaître Horjah pour son capitaine-général