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aussi compacte que la France, l’élément germanique étouffait sans peine les nationalités éparses sur les frontières de ce vaste empire, et l’unité politique s’établissait en même temps que l’unité géographique. L’Autriche, devant cette riche compensation, abandonnait sans peine les Pays-Bas, qui servaient depuis si long-temps de champ, de bataille à I’Europe, et où l’esprit turbulent des communes de Flandre semblait revivre encore pour entraver la libre marche de l’administration. Les réformes de Joseph II éveillaient aux Pays-Bas, dans la masse des populations et dans le clergé, une insurmontable répugnance, et ce mouvement des esprits pouvait amener une révolution, le jour où la grasse terre de Flandre produirait un nouvel Artevelde. Joseph avait fait à l’électeur de Bavière de magnifiques conditions ; les Pays-Bas devaient être érigés pour lui en royaume de Bourgogne ou d’Austrasie ; il conserverait toutes ses voix à la diète, et recevrait un million et demi de guldens pour lui et un million pour son héritier, le duc de Deux-Ponts ; Joseph s’était assuré la neutralité de la France et de l’Angleterre ; on a même dit, mais sans aucune certitude, qu’il avait promis à la France, pour la gagner à sa cause, la cession de Namur et de Luxembourg. La Russie devait appuyer ce projet de toute son autorité et son ambassadeur, le général Romanzoff, fut chargé, en février 1785, d’obtenir le consentement nécessaire du duc de Deux-Ponts, héritier de l’électeur de Bavière. Jusque-là la négociation avait été conduite avec tant de sagesse et de discrétion, qu’il n’en avait rien transpiré au dehors. Le duc de Deux-Ponts refusa formellement son assentiment. En vain l’ambassadeur de Russie passa-t-il des prières aux menaces, déclarant au duc que l’échange aurait lieu, qu’il y consentît ou non de gré ou de force : l’héritier de Bavière resta inébranlable et avertit sur-le-champ Frédéric. Le roi de Prusse, qui avait déjà un pied dans la tombe, sembla retrouver en cette occasion toute l’activité de sa jeunesse. La négociation tomba d’elle-même dès qu’elle fut traînée au grand jour, et Frédéric tira un parti merveilleux de la situation fausse où cet échec plaçait l’Autriche. Il se posa comme le champion et le garant des droits de l’empire, et, pour opposer une digue aux envahissemens de l’Autriche, il organisa cette formidable ligue des princes qui réunit en faisceau entre les mains du roi de Prusse toutes les forces de l’Allemagne du nord. De ce jour, il y eut deux Allemagnes, l’une groupée autour de la Prusse, l’autre fidèle à la vieille suprématie autrichienne ; de ce jour ; Berlin représenta aux yeux du monde les intérêts de l’avenir, comme Vienne représentait les traditions du passé. La ligue des princes fut pour la Prusse d’alors ce qu’est le Zollverein pour la Prusse d’aujourd’hui, un moyen direct d’influence et de domination sur les idées et sur les intérêts, plus utile à sa grandeur que les victoires de Frédéric ou de Blücher. Le grand roi, après avoir tracé autour de ses états cette ligne de défense désormais infranchissable, put descendre confiant et satisfait dans les caveaux de Potsdam.

Joseph resta humilié de cet échec imprévu, et le mécontentement des Pays- Bas se changea dès-lors en une animosité profonde. Cependant, à cette même heure, la révolte ensanglantait une autre partie de ce vaste empire. Ce peuple hongrois qui avait sauvé le trône de Marie-Thérèse par son héroïque dévouement s’armait contre les réformes de Joseph II. L’empereur venait d’établir dans ses états la conscription militaire ; ce fut le signal de la révolte en Hongrie comme plus tard en Vendée. L’irritation datait de loin ; Joseph II avait refusé de