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aux moines chassés de leurs couvens une pension viagère ; cette pension fut modique, il est vrai, et de nature à satisfaire seulement aux premières nécessités de la vie, car Joseph ne voulait point encourager la paresse, et les moines, en rentrant dans la vie privée, devaient devenir des travailleurs, non des rentiers. Les biens des couvens, sagement régis par la caisse de la religion, donnèrent bientôt un revenu de plus de deux millions de florins, et l’empereur put réaliser le vœu qu’il avait formé de multiplier tellement les paroisses, qu’aucun de ses sujets ne fût éloigné de plus d’un mille de son église. Une portion considérable du clergé allemand appuya ces réformes aussi utiles, à la religion qu’à la monarchie. Le célèbre livre de Hontheim (Just. Febronius) sur l’état de l’église et la puissance légitime du pape avait, en reproduisant les doctrines gallicanes, exercé une influence profonde et salutaire sur les esprits. Cependant une autre portion du clergé, excitée par le fanatisme et l’intérêt personnel, éleva de si bruyantes réclamations, que le pape s’en émut et crut devoir en écrire à l’empereur ; mais son intervention fut repoussée, et le saint-siège, accoutumé à parler à Vienne en maître, n’y fut, pas même écouté à titre de conseiller et d’ami. Le pape se résolut alors à une démarche qui n’avait pas de précédent, dans l’histoire de la chrétienté, et qui parut à ce siècle sceptique l’aveu implicite de la déchéance de Rome. Le 15 décembre 1781, il écrivit à l’empereur.

« Comme nous avons appris par expérience que les affaires prennent une mauvaise tournure, quand elles ne sont pas traitées de la bouche à la bouche, nous avons résolu de nous rendre à Vienne, auprès de votre majesté, sans nous laisser arrêter ni par la longueur et les difficultés de la route, ni par notre grand âge et notre faiblesse, car ce sera cour nous une grande consolation que de causer avec votre majesté, et, en lui montrant toute la bienveillance de notre cœur, de l’amener à concilier les droits de sa couronne avec les intérêts de l’église. »

L’empereur répondit par la lettre suivante, où un vif mécontentement perce sous la politesse affectée de la forme.

« Si votre sainteté persiste dans le dessein de venir ici, je puis l’assurer qu’elle y sera reçue avec le respect et la vénération dus à son éminente dignité, mais je dois la prévenir que les objets sur lesquels elle voudrait conférer sont si bien décidés, que son voyage sera absolument inutile. J’ai pris pour guides dans cette affaire la raison, l’équité, l’humanité et la religion ; avant de me déterminer, quand il s’agit d’objets essentiels, je demande l’avis de personnes dont la sagesse, la prudence et la capacité me sont connues, et leurs conseils règlent ma résolution. Rempli de respect pour votre sainteté, ainsi que pour le saint-siège, je suis, avec la vénération d’un chrétien qui demande votre bénédiction paternelle, « JOSEPH. »

Le pape ne renonça cependant pas à un projet qui lui semblait éminemment profitable aux intérêts du saint-siège, et dont son éloquence naturelle lui faisait espérer le succès. Le 27 février 1782, il partit du Vatican, après avoir révoqué par un bref la bulle Ubi papa, ibi Roma, afin que, s’il mourait en voyage, le conclave pût s’assembler à Rome.

Le voyage du pape était un événement politique assez considérable pour éveiller I attention des cabinets. La cour de Rome, menacée de perdre à la fois sa domination absolue sur le clergé et son prestige sur l’imagination des peuples, se