Allons, je n’ai plus besoin de toi. Les miens ont succombé ; les autres sont là-bas à genoux, tendant vers les vainqueurs leurs bras supplians, bégayant leur grace. (Regardant autour de lui.) Ils n’arrivent pas encore de ce côté. Reposons-nous un instant. Ah ! déjà ils ont escaladé la tour du nord, ils regardent s’ils ne découvriront pas le comte Henri. Oui, je suis ici, c’est moi, moi, le comte Henri ; mais vous ne me jugerez pas. Mes préparatifs sont faits, et c’est au jugement de Dieu que je vais me rendre. (Il arrive au bord du précipice.) Je la vois maintenant, mon éternité, elle s’approche noire et terrible, sans fin, sans espoir, et, au milieu, Dieu comme un soleil qui brille éternellement et qui n’éclaire pas ! (Il fait un pas en avant.) Ils m’ont aperçu, ils courent sur moi. Jésus Marie ! POÉSIE[1], sois damnée comme je vais l’être moi-même pour l’éternité ! Mes bras, allongez-vous et fendez ces vagues sombres ! (Il se précipite.)
- La cour du château. — Pancrace, Léonard, Bianchetti, à la tête de la foule. — Devant eux passent les comtes, les princes avec les femmes et les enfans, tous déchaînés.
Ton nom ?
Christophe de Vosalquemir.
Tu l’as prononcé pour la dernière fois. Et le tien ?
Ladislas, seigneur de la Forêt-Noire.
Cela suffit, tu ne le prononceras plus. Et toi ?
Alexandre de Godalberg.
Rayé du nombre des vivans. Va.
Ces gredins nous ont tenus deux mois avec quelques canons et de mauvais parapets tout démantelés.
En reste-t-il encore beaucoup ?
Je te les livre tous. Que leur sang coule pour l’exemple du monde entier ! Je fais grace à celui de vous qui pourra me dire où est le comte Henri.
Au moment où l’on cessait de se battre, il a disparu.
Je me présente comme médiateur entre toi et les prisonniers que voilà. Ce
- ↑ Ce n’est pas à la vraie poésie, on l’a compris sans doute, que ces paroles s’appliquent. C’est au culte stérile et déréglé de l’imagination que le poète prononce anathème par la bouche du Comte.