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plaine de Troie ou des rives de l’Ohio, aux tombeaux des rois Lydiens, aux topas de l’Inde et aux pyramides de l’Égypte.

On n’en finirait pas si on voulait énumérer tous les monumens funèbres qui, dans différens pays, présentent quelque rapport avec les pyramides. Dans les tombes étrusques on employait la forme pyramidale[1] ; on la retrouve dans le tombeau, de Cyrus. Les pyramides mexicaines, dont la ressemblance avec les pyramides égyptiennes est si grande, ont, si l’on en croit la tradition des indigènes, servi de sépulture aux anciens chefs de tribus. Quelques-uns de ces monumens ont demandé des efforts inouis et comparables au labeur qui a élevé les pyramides : tel est le tombeau gigantesque de l’empereur chinois Tsin-hoang-ti ; ce tombeau, qui avait coûté la vie à tant de milliers d’hommes, qui, comme les pyramides d’Égypte, souleva la colère des peuples et, juste vengeance du ciel, ne protégea pas le cercueil qu’il contenait, détruit, dit la tradition, par la main d’un berger.

Toutes ces analogies si frappantes ne peuvent laisser de doute sur la destination funèbre des pyramides ; mais, au lieu de reconnaître un fait évident, quelles bizarres suppositions n’a-t-on point faites à leur sujet ! Les uns ont vu dans leur construction une sage mesure contre le paupérisme et la mendicité[2] ; un certain Samuel Simon Witte a très gravement avancé que les pyramides n’étaient point l’ouvrage des hommes, mais un jeu de la nature. Selon lui, elles n’offrent pas une architecture plus régulière que les colonnes basaltiques de la grotte de Fingal, et ont une origine semblable. L’auteur de ce beau système ne s’en est pas tenu là ; il a étendu la même manière de voir au sphinx qu’il appelle le prétendu sphinx, puis aux monumens de l’Inde et même aux ruines grecques de Sicile. Enfin, en 1838, M. Aguew a publié un traité dans lequel il établit que les pyramides offrent dans leur structure et leur disposition une démonstration rigoureuse de la quadrature du cercle.

Oublions toutes ces folies en contemplant cet admirable sphinx placé au pied des pyramides qu’il semble garder. Le corps du colosse a près de 90 pieds de long et environ 74 pieds de haut ; la tête a 26 pieds du menton au sommet. Le sphinx m’a peut-être plus frappé que les pyramides. Cette grande figure mutilée, qui se dresse enfouie à demi dans le sable, est d’un effet prodigieux ; c’est comme une apparition éternelle. Le fantôme de pierre paraît attentif ; on dirait qu’il écoute et qu’il regarde. Sa grande oreille semble recueillir les bruits du passé ; ses yeux tournés vers l’orient semblent épier l’avenir ; le regard a une profondeur et une fixité qui fascinent le spectateur. Le sphinx est taillé, dans le rocher sur lequel il repose ; les assises du rocher partagent sa

  1. Sans parler du douteux tombeau de Porsenna, je citerai une tombe étrusque près d’Albano, connue sous le nom de tombeau des Horaces et des Curiaces.
  2. Voyez Du Paupérisme, par le prince de Monaco, p. 12.