Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/677

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouvé que deux ascensions pénibles : celle de l’Etna et celle de la grande pyramide. Celle-ci ne fatiguerait point si l’on se pressait moins, ou plutôt si l’on était moins pressé par les Arabes qui vous hissent au sommet. Les Anglais, qui mettent toujours leur plaisir dans leur orgueil, sont enchantés de pouvoir dire qu’ils sont montés sur la grande pyramide dans le temps le moins long possible, et les Arabes, croyant que tout le monde a cette sotte ambition, vous poussent, vous pressent, et vous apportent enfin brisé sur la plate-forme, où vous seriez arrivé commodément quelques minutes plus tard. Je ne sais si cette circonstance me rendit moins sensible au coup d’œil tant vanté dont on jouit, dit-on, du haut de la grande pyramide. Le contraste du désert et du terrain cultivé est certainement très frappant, mais il n’est pas nécessaire, pour en avoir le spectacle de grimper aussi haut. Tout le monde n’en conviendra point ; quand on s’est essoufflé si fort, on ne veut pas avoir perdu sa peine.

Au temps de Pline, des paysans d’un village voisin avaient pour industrie spéciale de gravir les pyramides à la satisfaction des curieux. Il en était de même lors du voyage d’Abdallatif au XIIe siècle[1]. Maintenant les voyageurs font eux-mêmes l’ascension de la grande pyramide ; mais la seconde est beaucoup plus difficile à gravir à cause du revêtement qui subsiste en partie : c’est un Arabe qui se charge d’y monter. Pour 5 piastres, environ 25 sous, cet homme descend de la grande pyramide, où il a accompagné les voyageurs, grimpe sur la seconde à peu près comme une mouche grimpe contre une vitre, redescend et remonte sur la grande pyramide, pour venir chercher son argent, sans paraître plus fatigué qu’un chat qui aurait fait quelques tours sur les toits, et enchanté de son expédition lucrative.

Ce n’est que de notre temps qu’on a mesuré exactement les pyramides Hérodote dit que la plus grande est aussi haute que sa base est large, ce qui est une erreur ; Strabon dit plus haute, ce qui est une erreur plus grande ; mais ni Hérodote ni Strabon n’étaient montés sur le sommet de cette pyramide, couverte alors d’un revêtement poli, et si les prêtres connaissaient la hauteur véritable du monument, ils se plaisaient à l’exagérer.

La grande pyramide avait dans son intégrité 451 pieds, selon les mesures prises par les savans de l’expédition d’Égypte[2] ; c’est à peu près le double de la hauteur de Notre-Dame. Si l’on compare cette hauteur à celles qui viennent immédiatement après dans l’échelle des monumens

  1. Il semblerait que postérieurement à Pline, à l’époque où fut écrit l’ouvrage sur les merveilles du monde, attribué à Philon de Byzance, on pouvait monter sur les pyramides (Parthey, Wanderungen, p. 103.)
  2. On peut voir dans le plus grand détail toutes les dimensions des pyramides dans l’ouvrage du colonel Vyse, t. II, p. 109, 117, 120.